C’est une photographie prise un jour de 2006 en forêt d’Ecouves, pour répondre à la demande que la rédaction de la revue EspacesTemps adressait à chaque auteur d’une proposition d’article acceptée, de lui transmettre une image libre de droits pour illustrer le texte à publier sur le site de la revue.
L’article qu’elle illustre s’intitule Technicité de la description en géographie. Écritures d’espace vécu (http://espacestemps.net/document7053.html). Dans ce texte, je cherchais à appréhender ce qu’est « le travail d’écriture d’un géographe qui construit par ce moyen, entre autres, un nouvel objet géographique [en l’occurrence : l’espace vécu] ». Le texte est fondé sur « l’hypothèse selon laquelle l’écriture ne peut pas être considérée seulement comme un moyen de communication sur un thème scientifique en construction (l’espace vécu), mais comme un des lieux de son élaboration ».
Cette approche du travail d’écriture est conduite sur un corpus de textes par lesquels Armand Frémont a imposé en France le thème de l’espace vécu ; thème qui trouve sa première formalisation dès la conclusion de sa thèse : « La région géographique est une réalité de la vie des hommes. Elle rend concrète la notion d’espace […]. Elle est née des hommes, façonnée par eux, existant autant dans leur propre conscience que dans sa propre réalité. Sans eux, elle est lunaire. La région ne constitue pas seulement un cadre de vie. Elle est une des dimensions importantes de la vie. Elle est l’espace vécu » (Frémont, 1968, p. 207).
Dès lors, comment décrire une entité que l’on situe à la fois dans la conscience des hommes et dans une réalité qui leur est extérieure ? Comment appréhender, dans une description scientifique, une « dimension importante de la vie » ?
Si j’ai essayé de rendre compte de divers procédés d’écriture utilisés par Armand Frémont pour signifier le glissement d’objet qu’il faisait opérer à la description géographique, je n’ai en revanche pas mentionné dans cet article le rapport spécifique que j’ai entretenu et entretient encore avec une partie des textes d’Armand Frémont.
A la photographie demandée par la rédaction d’EspacesTemps, est revenue la charge de (très) discrètement exprimer ce rapport biographique.
Je n’ai aucun souvenir de la première lecture effectuée en licence de géographie d’un de ces textes, mais la lecture dans l’Espace géographique de son article intitulé Les profondeurs des paysages géographiques. Autour d’Ecouves, dans le Parc régional Normandie-Maine (https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1974_num_3_2_1461) a produit un effet durable. Elle a permis par des chemins (mentaux) qu’il m’est impossible de parcourir à nouveau -de tisser des liens durables entre une existence en partie écoulée dans des lieux dont il est question dans l’article, et la perspective d’un futur possible avec la discipline universitaire que ce texte participe alors à renouveler ; discipline à l’appropriation de laquelle je tends, autant qu’on puisse y tendre en licence.
Être à la fois dans le texte comme habitant, du fait du rapport référentiel aux lieux qu’entretient tout texte de géographie, et en dehors, puisque lisant ce texte. Cheminer, par la lecture, entre cet intérieur à cet extérieur – et vice versa. Comprendre qu’accomplir ce chemin de lecture et que permettre ce cheminement par une écriture qui fonctionne comme autant d’indications, c’est cela faire de la géographie et que je pourrais peut-être en faire… Telle est mon expérience de cet article.
Il est certain que cette expérience singulière est largement permise par le travail d’écriture d’Armand Frémont : la construction du texte en quatre plans d’analyse délibérément installés en ruptures successives (le milieu, l’imaginaire, les perceptions, les lieux retrouvés), les nombreuses lignes de fuite (ce « climat [qui] mériterait une analyse scientifique plus approfondie » p. 128 ; ces « fréquents voyages au Mans, souvent en compagnie de G. Houzard [qui] nous ont permis de réaliser ces observations depuis dix ans. Nous regrettons de ne pas les avoir notées plus systématiquement », p. 128 ; « sur cette piste [l’imaginaire], la recherche devient très difficile, p. 130, etc.), la multitude des points de vue successivement relayés.
D’une certaine façon, Armand Frémont montre par le texte même le travail dans l’écriture, le travail de l’écriture ; et dès lors, oriente ce que peut être le travail de la lecture qui est aussi un travail par le texte sur le lecteur/la lectrice : qu’est-ce que je fais de ces blancs qui séparent les parties disjointes de cet article ? Qu’est-ce que je dois comprendre de ces incursions permises dans les coulisses, de la désignation de ces pistes insuffisamment explorées ? Quel crédit dois-je accorder à cette quatrième partie dont le titre Les lieux retrouvés appelle une impossible résolution des tensions contenues par les trois parties précédentes ?
Pour aller plus loin
Textes cités d’Armand Frémont
Armand Frémont, 1974, Les profondeurs des paysages géographiques. Autour d’Ecouves, dans le Parc régional Normandie-Maine, L’espace géographique, 1974, n° 2-3. https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1974_num_3_2_1461
Armand Frémont, 1968, L’élevage en Normandie, Thèse de doctorat de géographie, 2 volumes. Caen : Publications de la Faculté des Lettres de Caen, 626 et 316 p.
Articles scientifiques de commentaire de travaux d’Armand Frémont
Jean-François Thémines, 2008, Technicité de la description en géographie. Ecritures d’espace vécu, EspacesTemps.net. URL : http://espacestemps.net/document7053.html
Jean-François Thémines et Patrice Caro, 2014, Normandie sensible d’Armand Frémont. Tableaux d’une égo-géographie, Géographie et cultures, J’égo-géographie et varia, n°89-90, Y. Calbérac & A. Volvey (dir.). URL : https://journals.openedition.org/gc/3228

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