Saïgon est un spectacle écrit et mis en scène par Caroline Guiela Nguyen avec la compagnie des « Hommes Approximatifs ». Créé à Avignon en 2017 (Voir critique Télérama : https://www.telerama.fr/scenes/saigon-bouleverse-avignon,160686.php), joué au Théâtre de l’Odéon, au Théâtre national de Strasbourg entre autres, le spectacle était au programme de la Comédie de Caen, au Théâtre d’Hérouville ce jeudi 23 mai 2019.

Avec la compagnie des Hommes approximatifs créée en 2009, « notre préoccupation [dit Caroline Guiela Nguyen] est de savoir quels sont les récits qui nous racontent aujourd’hui et surtout quels sont les êtres qui doivent peupler notre plateau. Pour SAIGON, il nous fallait sortir de nos frontières, aller chercher des visages jusqu’au Vietnam. Durant ces deux dernières années, nous avons récolté des témoignages. Les immersions à Hô Chi Minh-Ville et dans le treizième arrondissement de Paris nous ont permis d’entendre à nouveau des récits, des mots, des langues qui m’étaient devenues inaccessibles, comme par exemple le français limité tel que le parlait ma grand-mère ou celui différent de mon oncle créolisé […] » (extraits d’une interview réalisée par Francis Cossu pour le Festival d’Avignon en 2017).

« Hô Chi Minh-Ville est chargée d’histoires de départ, d’exil, elle est peuplée d’êtres qui manquent dans les familles et c’est cette absence qui engendre la fiction. Paradoxalement, plus la mémoire qu’on a de l’autre est en péril, plus nous avons besoin de nous souvenir. C’est comme cela que nous créons du mensonge, du mythe. Il y a toujours quelqu’un à pleurer et tout l’enjeu de notre spectacle est de retrouver ce trajet des larmes » (ibid.).

Si ce spectacle ne se « lit » pas comme on lirait un livre de géographie sur la diaspora vietnamienne, on peut le vivre comme l’évocation de géographies d’hommes et de femmes de cette diaspora, entre Vietnam et France.

La scénographie nous fait entrer dans la vie de Saïgon, un lieu générique de la diaspora, « le vietnamien » du coin de la rue, ici ou ailleurs dans le monde… Dans cet ici comme mille ailleurs, les échelles spatiales s’inversent volontiers. Le Saïgon, qu’une géographie localisatrice un peu triviale nicherait au coeur d’espaces emboîtés comme des poupées russes (la rue/le quartier/la ville/le pays/l’espace transnational de la diaspora) contient, à l’inverse, l’espace de la diaspora, de ses pays, de ses métropoles et de leurs coins de la rue. Le « petit Saïgon » de Marie-Antoinette (personnage joué par Anh Tran Nghia) contient tous les Saïgon de la terre, le Saïgon éponyme muté en Ho chi minh Ville et le Paris des Vietkieû que des vagues de départ ont porté jusque-là. Ces inversions d’échelle sont possibles parce que les pratiques de l’espace diasporique s’ancrent dans des sensations plutôt que dans des déplacements physiques à longue distance, celles liées aux parfums de la cuisine, aux parlers multiples, aux airs chantés qui racontent des histoires de perte.

Mais ce Saïgon n’est pas exactement un Saïgon comme les autres. C’est celui de Marie-Antoinette. C’est elle qui « tient » ce lieu unique ; c’est elle qui rend possibles des récits singuliers qui se passent de mémoire en mémoire. C’est elle qui, aussi, permet les silences au creux des mots et des chansons. Là où les récits butent, malgré la volonté de savoir pour certains [de son fils dont Marie-Antoinette est sans nouvelle depuis le départ de celui-ci vers la France, elle ne saura pas plus loin que son passage par le camp de Sorgues peu après son arrivée à Marseille en 1939], parce qu’ils ne peuvent pas comprendre, pour d’autres [Antoine, le fils métis franco-vietnamien de Lihn et d’Edouard soldat français en Indochine, demande à celle-ci : qu’y avait-il à Saïgon ?].

Pour aller plus loin :

Sur l’auteure : Caroline Guiela Nguyen, l’écouter sur France-Culture. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/caroline-giulia-nguyen

Sur la réception critique du spectacle. URL : https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/SAIGON/critiques/ 

Sur les travailleurs indochinois en France pendant la Seconde Guerre mondiale :

Liêm-Khê Luguern, doctorante à l’IRIS (EHESS), Les travailleurs indochinois en France. URL : http://www.histoire-immigration.fr/dossiers-thematiques/les-etrangers-dans-les-guerres-en-france/les-travailleurs-indochinois-en-france

Liêm-Khê Luguern (2016). Camps de travailleurs coloniaux de la seconde guerre Mondiale en France. Le cas des ”camps de travailleurs indochinois”. URL :  https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01406148/document

[où l’on retrouve l’itinéraire du fils de Marie-Antoinette, passé par les Baumettes où sont « accueillis » à Marseille le 21 novembre 1939 les premiers de ces travailleurs ; où l’on retrouve aussi Sorgues où ce fils a disparu des mémoires et où à la Libération en 1945 les travailleurs indochinois revendiquent de pouvoir retourner au pays et pour l’indépendance du Vietnam].

Sur les lieux de la diaspora vietnamienne à Marseille :

Alain Guillemin (2004). Les Vietnamiens à Marseille, au miroir du Panam. In : Pierre Fournier et al., Marseille, entre ville et ports, Editions La Découverte, p. 258-272.

[Où l’on retrouve toujours l’itinéraire de ce fils… et d’une certaine façon le Saïgon, puisque l’auteur, sociologue, s’installe au bar Le Panam (enseigne complétée à partir de 2002 de l’appellation Little Saïgon), au n°82 de la rue de la République à Marseille, seul bar de la ville à cette époque à accueillir une clientèle presque exclusivement vietnamienne) pour y repérer les traces des vagues de migration vietnamienne].

Nguyen Van Thanh (2012). Saïgon-Marseille aller simple, un fils de mandarin dans les camps de travailleurs en France, préface de Pierre Daum, Elytis.

Voir sa recension sur le site : Mémoires d’Indochine. URL : https://indomemoires.hypotheses.org/85

Sur d’autres lieux, non urbains, de la diaspora vietnamienne en France : les camps de travailleurs indochinois et ce qu’il en reste, en particulier :

Le camp de Sainte-Livrade devenu en 2015 un quartier de la petite ville du Lot-et-Garonne où, selon un article de Courrier International daté d’août 2009, vivaient les dernières “grands-mères de Saigon”. URL : https://www.courrierinternational.com/article/2009/08/20/sainte-livrade-sur-mekong

Voir aussi :

Alain Lewkowicz et Gaël Gillon, Les oubliés de Vietnam-sur-Lot. Rediffusion de l’émission « La Fabrique de l’histoire » du 26 mars 2001. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/sur-les-docks/fin-de-partie-coloniale-13-les-oublies-de-vietnam-sur-lot-rediffusion

Marie-Christine Courtès et My-Linh Nguyen, 2004, Le camp des oubliés. Film produit par Jean-Luc Millan Distributeur : GAD – Grand Angle Distribution. Accessible à : https://www.youtube.com/watch?v=pxdMmbEaTN8

A Noyant-d’Allier, les corons des mines de charbon fermées dans les années 1940 ont  accueilli, après les familles de mineurs polonais, des familles indochinoises  : https://www.la-croix.com/Actualite/France/Noyant-l-insolite-des-Vietnamiens-dans-le-bocage-2015-08-26-1348386

La pagode construite dans ce bourg en 1982-1983 est aujourd’hui valorisée comme une ressource touristique, voir : https://www.allier-auvergne-tourisme.com/culture-patrimoine/villes-villages/noyant-d-allier-5756-1.html

Sur le camp de Noyant : Pierre-Jean Simon et Ida Simon-Barouh (1981). Rapatriés d’Indochine. Paris, L’Harmattan, Collection du Centre de documentation et de recherche sur l’Asie du Sud-Est et le monde insulindien, [1], Un Village franco-indochinois en Bourbonnais / Pierre Jean Simon ; [2], Deuxième génération : les enfants d’origine indochinoise à Noyant-d’Allier.

Merci à Duy, à la régie du spectacle et à Bao Chan, traductrice et professeure de traduction au Département de français de l’Université de pédagogie de Ho Chi Minh-ville.

SAIGON-page-001
Saïgon (Jean-François Thémines)
travailleur indochinois camargue
Travailleur indochinois dans les rizières de Camargue pendant la guerre. © Collection Pham Van Nhân. Source : Liem-Khe LUGUERN
marseille saigon
Un autre Saïgon. Premier étage d’un établissement fermé, le Saïgon, près du Vieux-Port, Marseille (photographie : Jean-François Thémines, 10 mai 2019)

Laisser un commentaire