Du plus loin de l’oubli est le titre d’un roman de Patrick Modiano emprunté à un vers du poète allemand Stefan George. Le narrateur, né comme l’auteur à la fin de la Seconde Guerre mondiale, y évoque sa rencontre à vingt ans, avec un couple qui, un peu comme lui, vit d’expédients dans un Paris d’étudiants qu’ils ne sont pas.
Le texte joue de correspondances entre trois moments : l’année 1964 où le narrateur fait la connaissance de Jacqueline ; quinze ans plus tard le narrateur croît reconnaître Jacqueline mais elle a changé d’identité ; encore quinze années plus tard, soit le moment que l’on peut penser être celui de l’écriture du roman.
L’illustration de couverture de l’édition de 1996 dans la collection Folio, de Pierre Le Tan, établit cette géographie des correspondances que le rêve installe avec netteté tandis que la mémoire les gomme.
Les traits de l’illustration ont cette précision des détails que les rêves semblent fixer.
« J’y retourne quelquefois dans mes rêves. L’autre nuit, un soleil couchant de février m’éblouissait, le long de la rue de Dante. Elle n’avait pas changé depuis tout ce temps » (p. 14).
L’image tout entière donne pourtant l’impression de flotter entre ces trois moments, un peu comme si elle était imprégnée de cette odeur d’éther perçue dans la chambre d’hôtel, lorsque le narrateur fait connaissance de Jacqueline et Van Bever.
S’agit-il du narrateur à vingt ans ?
« Je remontais le boulevard Saint-Michel et j’avais l’impression de piétiner depuis longtemps sur les mêmes trottoirs, prisonnier de ce quartier sans raisons précises » (p. 38).
S’agit-il du même trente ans plus tard ?
« Le bruit cadencé des wagons s’est tu et le train s’est arrêté un instant à Villeneuve Saint-Georges, avant la gare de triage. Les façades de la rue de Paris, qui borde la voie ferrée, sont obscures et délabrées. Autrefois se succédaient, tout le long, des cafés, des cinémas, des garages dont on distingue encore les enseignes. L’une d’entre elle est allumée comme une veilleuse, pour rien » (p. 181).
Un peu comme si l’image à son tour entreprenait de fixer cet « endroit » : du plus loin de l’oubli.
Sur Pierre Le-Tan :
Une voix à réécouter, sur France Culture : https://www.franceculture.fr/dessin/le-dessinateur-pierre-le-tan-est-mort
Pierre Le-Tan & Patrick Modiano. Un article sur le Réseau Modiano : http://lereseaumodiano.blogspot.com/2011/10/pierre-le-tan-patrick-modiano.html
Sur le roman Du plus loin de l’oubli
Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, 19 janvier 1996 : « Au centre de la constellation » https://www.humanite.fr/node/122503
Jurate Kaminskas, Voix plurielles, 2004, « Du plus loin de l’oubli de Patrick Modiano : entre la fuite et l’exil » https://journals.library.brocku.ca/index.php/voixplurielles/article/view/559/538
Bernard Obadia, Article « Du plus loin de l’oubli » dans Au Temps, Dictionnaire Patrick Modiano : http://www.litt-and-co.org/au_temps/autemps_d.htm

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