Les expositions, vues souvent les dimanches, sont des luxes auxquels la vie confinée redonne du lustre.

Il s’agissait, le 30 avril 2017, de découvrir l’exposition que le Musée des Beaux-Arts de Caen consacrait à des œuvres récentes de Marc Desgranchamps.

Ces œuvres sont de grande taille. Les formats simples, plus hauts que larges, sont souvent agencés en polyptyques, qui font que les représentations gagnent en horizontalité cinématographique. Les ciels souvent bleu vif évoquent une lumière méditerranéenne. Des lignes horizontales structurent les paysages rythmés de figures, souvent humaines et féminines.

Première photographie : Observons la baigneuse, de dos, que l’on imagine regardant le volcan à l’arrière-plan. Si ses jambes semblent appartenir au premier plan, une sorte de digue devant une plage (elle est comme agenouillée sur cette surface carrelée), le reste de son corps jusqu’au cou, est vu en transparence, comme « derrière » la représentation de la baie. Sa tête et sa main droite relevée appartiennent quant à elles au plan occupé par le ciel au-dessus de la baie. La sorte de cerne blanc qui l’entoure partiellement, très appuyé à hauteur de son abdomen, brouille d’autant le repérage des plans. C’est là où l’image du corps s’efface derrière la baie que le cerne blanc produit comme un éclat direct de la lumière du soleil sur ce corps.

Une figure agenouillée, ainsi qu’une femme fut perçue dans cette posture. Le regardeur (photographe ?) est passé à cet instant, à cet endroit et il a vu cette personne (il l’a sans doute photographiée). Son image est encore là, dans la figure représentée, mais elle va en s’estompant.

Tous les éléments du tableau sont affectés par ce trouble de la perception : le volcan, tout du moins sa figuration, au fond à droite, c’était quand ? c’était où ? Ce panache de fumée figé ?  Ces quelques volumes architecturaux (on pense à des paysages de ruines antiques comme à des paysages contemporains de guerre) ?  Cette baie et ses deux figures de baigneurs (ils pourraient être n’importe quelle baie avec ses baigneurs de l’instant) ?

Seconde photographie. Une plage, des femmes passent, des figures derrière, ciel bleu. Tout concourt au trouble :

  • les figures sans traits distinctifs, sans visage, sans une personne finalement pour nous adresser ou même laisser entrevoir un regard. Et pourtant une présence qui persiste par la représentation de ces figures, fut-elle apparemment sommaire ;
  • ce parasitage de la « surface » du tableau : les taches noires comme en surimpression de la scène de plage ; ce bras qui surgit à droite du panneau de gauche dans le diptyque de la plage, sans tronc qui lui corresponde sur le panneau de droite ; 
  • cette impression de renvoi d’un tableau à l’autre, et de tous ces tableaux à des images déjà vues (où ? quand ?) par les fragments qui les composent, par les ruptures de perception introduites – ce parasitage, par le montage des polyptyques (ne pourrait-on pas les assembler autrement ?)

Et aussi ces figures féminines en mouvement mais comme ralenties/figées à jamais, ostensiblement montrées s’effaçant… Voici comme en parle Marc Desgranchamps :

« On voit beaucoup de figures féminines en marche dans mes peintures. Ce sont des figures du passage, elles inscrivent dans leur mouvement les circulations qui existent d’une peinture à l’autre, la condition poreuse de ces ensembles. Elles sont aussi une personnification de l’héroïne Gradiva, issue d’une nouvelle de l’écrivain Wilhelm Jensen, écrite il y a plus d’un siècle. C’est une figure en marche sur un bas-relief gréco-romain qui matérialise la fusion entre le fantasme et la réalité mais aussi du passé dans le présent, ou la reconnaissance de l’archaïque dans le vivant » (Desgrandchamps, 2017, p. 107).

Pour en savoir plus : 

Le site de la Galerie Lelong (Paris 8eme) : https://www.galerie-lelong.com/fr/artiste/46/marc-desgrandchamps/

Un article Anne de Coninck (2015) sur le site Slate.fr : Visitez l’atelier de Marc Desgrandchamps, le peintre français maître de l’évanescence http://www.slate.fr/story/107153/art-contemporain-marc-desgrandchamps-ombres-projetees

Des reportages sur l’exposition au Musée des Beaux-Arts de Caen (2017) :

France 3 Normandie : https://www.youtube.com/watch?v=-yZ-EmiVO0s

Ouest-France : https://www.dailymotion.com/video/x5doxrw

Des reportages sur d’autres expositions

Marc Desgrandchamps et Olivier Masmonteil à la chapelle des Cordeliers (Toulouse, février-avril 2019) : https://www.youtube.com/watch?v=yi4FXp_pp-o

Extrait d’un documentaire de Joel Cano : Figures & Co. à propos d’artistes de la collection Pierre Pradié, exposée au Centre d’art de Cesson-Sevigné en janvier 2006 : https://www.youtube.com/watch?v=4vq1ZktrHI8

Une conférence filmée de Marc Desgrandchamps à l’école supérieure d’arts des Rocailles (Bayonne Anglet Biarritz, décembre 2009) : https://www.youtube.com/watch?v=M60pM_frH8I

A propos de Gradiva comme exemple d’une survivance ou Nachleben (Aby Warburg), de la figure féminine du bas-relief grec du IVe s. av JC évoquée dans la nouvelle de Jensen jusqu’à l’affiche du Bon Marché annonçant l’exposition Proenza Schouler en 2014. Voir cet article du Monde : https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2014/03/11/la-barbe-ne-fait-pas-le-philosophe-gradiva-au-bon-marche-si_4380943_4497319.html

Le clip de la chanson de Bertrand Burgalat & Robert Wyatt – This Summer Night (2007, Tricatel). La pochette du 45 tours a été réalisée par Marc Desgrandchamps d’après son tableau W Aden : https://www.youtube.com/watch?v=9bGv13da2ik

Et la référence d’un ouvrage rassemblant des textes de Marc Desgrandchamps sur sa peinture : Marc Degrandchamps, 2017, Lignes. Paris, Galerie Lelong.

DESGRANDCHAMPS VOLCAN
Photographie de l’un des tableaux de l’exposition au Musée des Beaux-Arts de Caen, Jean-François Thémines, 30 avril 2017

DESGRANDCHAMPS PLAGE

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