écritures géographiques

Passer la Rance en venant de l’Est qui est déjà un Ouest.

On a contourné la barre d’Avranches, obliqué vers Pontorson, filé à travers les marais, franchi le Couesnon. Puis, encore des marais, des peupleraies, quelques troupeaux de vaches ; de loin en loin des buttes boisées, la reprise des bocages sur des collines moins amples et plus moutonnantes que celle du Bocage normand, que nous avons traversé quelques dizaines de minutes avant.

Evocation au temps des voies rapides, à plus grande vitesse et plus grande échelle, de la Presqu’île de Julien Gracq : « Simon voyait le rivage des haies plonger dans le marais, comme une falaise morte. De chaque côté de la route, s’étendaient des lés de paillasson jaune, coupés de fossés d’eau noire ; à perte de vue, le marais faucardé hérissait un chaume grossier et piquant, où les roseaux tranchés ras saignaient encore partout par de fraîches blessures suintantes, roses et vertes. Il arrêta sa voiture et marcha un moment le long de la route […] ».

Nous nous arrêterons à Dinan.

Nous sommes, rappelle Jean-Louis Tissier, au pays de « La diverse Armorique […] au coeur de la géo-gracquie. Là le sentiment de familiarité, plus que d’appartenance, et celui de la circulation vitale de l’air et des eaux se conjuguent. Dans le triangle Mauges-Finistère-Bocage normand […] »

A l’heure de traverser la Rance, sur la route nationale 176, la diverse Armorique est souvent à la longitude de l’Asie, celle des paysages de ciel et d’eau.

Cet après-midi, les collines et l’eau s’entremêlent, comme toujours. Le ciel orageux donne à la surface de l’eau une lumière bleue, blanche et noire. A d’autres passages, elle est verte ou gris-jaune.

Des paysages en mouvement très au-dessus de l’eau, on passe à ceux presque immobiles, au bord de l’eau et japonisants d’Henri Rivière (1864-1951). Voir ci-dessous : le motif est celui d’un autre fleuve côtier breton, le Trieux.

Et prenant la Rance à son rythme, au fil de l’eau, les gouaches de Jean Urvoy (1898-1989) peuvent quelquefois faire ce pont entre pays lointains du ciel et de l’eau (reproductions ci-dessous).

Pour aller plus loin

Sur Henri Rivière, graveur et illustrateur. Voir le site de l’Association des Amis d’Henri Rivière : https://www.business-link.fr/HR/biographie.htm

Sur Jean Urvoy, voir : http://www.yvesfloch.org/groupe7.htm

Sur Julien Gracq : Jean-Louis Tissier, Julien Gracq, la paysage et le territoire, 2013. URL : https://www.lhistoire.fr/julien-gracq-le-paysage-et-le-territoire

Voir aussi également l’entretien daté de 1978 paru dans Entretiens, chez José Corti en 2002, p. 13-45… « J’allais tous les ans au bord de la mer et (cela me frappait beaucoup) en approchant de la mer, je remarquais que le Bocage changeait de couleur ; il se grisaille un peu, la teinte de la végétation change aux abords des pays salés, les plantes salicoles jouent un rôle dans cette affaire . Egalement, je remarquais l’espère de reflet argenté qui souligne l’horizon aux approches de la mer, du fait de la réverbération de la surface liquide. Je guettais l’apparition de ces indices » (p. 25).

Et sur les paysages actuels du pays de Rance et leurs enjeux agro-écologiques et économiques : https://www.lairedu.fr/media/video/reportage/devenir-paysages-ruraux-de-rance/ : une vidéo réalisée au cours de la journée de terrain du programme de recherche Sustainable Futures for Europe’s Heritage in Cultural Landscapes – Les paysages ruraux de la Rance, co-organisé en 2016 par Laurence Le Du Blayo (laboratoire ESO Espaces et Sociétés). Les intervenants exposent de quelle manière, dans la vallée de la Rance, les productions agricoles contribuent au maintien et à la valorisation du patrimoine paysager, notamment via l’articulation entre la qualité des produits et la qualité des paysages.