Au Musée municipal de Richelieu (Indre-et-Loire) situé dans l’hôtel de ville, on trouve aujourd’hui six grands tableaux de la série des Batailles originellement située dans l’aile nord du château que Richelieu avait fait reconstruire par son architecte, Jacques Lemercier, entre 1631 et 1642. La série était installée dans une Galerie des Batailles de 70 mètres de long et 10 mètres de large, qui « déroulait sur ses murs un programme iconographique d’une exceptionnelle richesse, à la gloire des campagnes militaires menées par Louis XIII et Richelieu, à l’intérieur et à l’extérieur du royaume : 12 sièges de villes et 8 batailles » (dossier de presse de l’exposition). Ces tableaux ont été restaurés entre 2009 et 2011. Six sont donc déposés et visibles au Musée municipal de Richelieu.

 

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Evocation de la Galerie des Batailles du Musée municipal de Richelieu (photographie : Jean-François Thémines, août 2020)

Un des six tableaux s’intitule le Secours de l’Ile de Ré. Il est attribué au peintre Claude Deruet (1588-1660). Il représente un épisode du siège de La Rochelle (1627-1628) ordonné par Louis XIII et commandé par le cardinal de Richelieu.

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Secours de l’Île de Ré

Pour pouvoir s’assurer de la prise de La Rochelle, les troupes royales doivent avoir la maîtrise de l’île de Ré. Or, celle-ci est occupée en juillet 1627 par quelques milliers de soldats anglais, menés par Georges Villiers (1592-1628) duc de Buckingham, venu apporter du renfort à la cité huguenote de La Rochelle. Les troupes du gouverneur de l’île de Ré résistent jusqu’à l’arrivée des renforts et la jonction avec l’armée royale.

La peinture de bataille est un genre pictural. Parmi la typologie du genre proposée par Jérôme Delaplanche, le tableau prend place dans la catégorie des récits de l’histoire moderne. Sa fonction est de célébrer les vertus du Roi et celles de son ministre en retraçant les grandes lignes de la politique de la France de 1627 à 1636. Les autres types sont « La peinture de bataille illustrant des histoires antiques », « la peinture de bataille sans récit identifiable, sans héros nommable se déroulant sous un costume antique » et « la peinture de bataille sans récit identifiable, sans héros nommable évoquant une action moderne ».

La peinture de bataille pose d’intéressants problèmes de représentation spatiale. Ici, l’espace de représentation est tripartite. Le premier plan (en bas du tableau), en point de vue légèrement surélevé, présentant une multitude de scènes et de figures, est vu de face. C’est là où se trouvent, en bas et à gauche, le Roi et le cardinal en habits de voyage.

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Louis XIII et le cardinal au premier plan, en bas à gauche. Des scènes de genre en contrebas.

Le deuxième plan dans le tiers central du tableau, combine point de vue oblique et point de vue zénithal permettant une représentation cartographique du territoire assiégé. C’est dans ce plan que se trouvent les représentations de navires ainsi que de l’Ile de Ré, dont on reconnait parfaitement la forme, vue du continent.

du premier au second plan
La liaison entre premier et deuxième plan. Les navires du deuxième plan amorce la vue quasi-cartographique de l’Île de Ré située plus haut

Le dernier plan, dans le haut du tableau, propose une un horizon vu de face, dont la ligne incurvée remontant sur les côtés semble ouvrir au regard tout l’espace maritime perceptible au large de La Rochelle.

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La partie supérieure du deuxième plan (représentation de l’Île de Ré) et le troisième plan : l’horizon maritime

Cette solution de représentation est reprise de la gravure que Jacques Callot a proposée de ce siège ainsi que de celui de La Rochelle. À la fin de l’année 1628, le graveur lorrain s’était en effet vu commander par le Roi ou par Marie de Médicis cette double composition.

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Jacques Callot, Le siège de l’Île de Ré, Musée du Louvre

Cette représentation tripartite de l’espace codifie « la peinture de bataille topographique, synthèse entre scène de genre, paysage et cartographie » (Schreuder, 2015).

Du paysage relève cette autre solution adoptée par Laurent de La Hyre (1606-1656) pour représenter le même événement, dans : La Défaite des Anglais en l’Île de Ré par l’armée française le 8 novembre 1627.

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La Défaite des Anglais en l’Île de Ré par l’armée française le 8 novembre 1627 (Musée de l’Armée)

Représenté depuis l’intérieur de l’Île de Ré, le paysage ne s’ouvre pas sur une vue zénithale. Le point de vue unique permet la représentation de différents temps de la bataille, pas celle d’une parade en premier plan du monarque, du cardinal et des principaux chefs militaires.

De la même époque, date cette Carte de l’Île de Ré avec les forts de Melchior Tavernier (1632). Elle porte également indication des lieux de la bataille, mais n’en représente ni les scènes, ni les protagonistes.

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Carte particulière des Costes du Poitou, Aunis et de La Rochelle, et du fort de Saint-Louys comme aussi de l’Isle de Re avec ses forts. Melchior Tavernier, tirée de : Théâtre géographique du Royaume de France (1632).

Dans le musée municipal, le tableau est présenté « seul ». Originellement, avec les autres de la série des Batailles, il est « redoublé » dans sa signification au sein du dispositif suivant : « Au-dessus, en correspondance avec l’exploit des armées du roi, un exploit militaire romain entretenant quelque analogie avec lui. Au-dessus encore dans des ovales, une scène mythologique tirée d’Homère […] Chacun réitérait le même message politique : des exploits ont été accomplis, la correspondance antique et mythologique en donne la mesure, chacun appartient au roi et, inséparablement, mais à sa place propre, au cardinal » (Jouhaud, 2011).

« L’espace se trouvait ainsi saturé de significations et chacun des éléments qui l’emplissaient, entrait d’une manière ou d’une autre, en relation fonctionnelle avec ceux qui l’entouraient » (ibid.). A l’échelle 1° de chaque tableau, 2° de la galerie, 3° du  château disparu dont l’entrée n’ouvre plus sur rien d’autre qu’un parc, 4° de l’ensemble quadripartite formé par le château reconstruit, ses avant-corps, la ville et le parc, ensemble que le Musée municipal donne à voir sous la forme d’une maquette.

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L’entrée du parc face au château disparu de Richelieu
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Maquette d’ensemble. Au premier plan : l’entrée du parc (voir photographie ci-dessus) devant les avant-corps; Au fond, le château ; au milieu, le parc ; à gauche, la ville de Richelieu (Musée municipal de Richelieu)

Pour aller plus loin

Jérôme Delaplanche, 2011, Pour une approche typologique de la peinture de bataille du XVIIe siècle, Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 83. URL : http://journals.openedition.org/cdlm/6128

Delphine Schreuder, 2015, Le paysage théâtre de la guerre. La peinture de bataille typographique à travers les représentations des sièges de Gravelines au XVIIE siècle. http://www.koregos.org/fr/delphine-schreuder-le-paysage-theatre-de-la-guerre/

Christian Jouhaud, 2011, Le territoire richelais du cardinal-duc. Catalogue de l’exposition Richelieu à Richelieu. Architecture et décors d’un château disparu, Milan et Spa, p. 23-29.

 

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