écritures géographiques

Traverser le Massif Central, c’est aussi traverser ses géographies.

Pour le traverser, il faut qu’il existe comme une entité sur les cartes et dans les esprits. Il est d’invention plutôt récente : ce sont les ingénieurs des mines et géologues Armand Dufrenoy et Elie de Beaumont qui le distinguent, le caractérisent et le nomment en 1841, dans leur Explication de la carte géologique de la France. Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54409235.texteImage

Repris par les géographes français, ce nouveau découpage des hautes terres situées dans la partie sud de ce qui est devenu le territoire français s’impose dans la géographie scolaire et les outils produits pour le grand public au XXe siècle. On apprend à reconnaître cette silhouette orange sur les cartes topographiques et rose sur les cartes géologiques. On apprend aussi ses hauts lieux, les formes remarquables de ces reliefs et de ces petites villes.

Ici, à Neussargues, en milieu de traversée, nous voici, au volant de la camionnette de location, face à une de ces planèzes basaltiques caractéristiques du volcan du Cantal.

Traverser le Massif central, c’est faire un voyage dans les vieux manuels scolaires de géographie, leurs cartes et leurs iconographies.

Au dernier tiers du XXe siècle, Roger Brunet renouvelle la représentation géographique du Massif central. Là où l’unité des formes s’imposait par la force d’une visualisation géologique, c’est désormais l’éclatement qui prévaut, entre des aires organisées à partir de villes généralement situées en périphérie de cet espace.

Pour traverser le Massif central, encore faut-il des infrastructures qui permettent d’en franchir les nombreux escarpements. Les réseaux ont changé d’orientation, d’échelle et de forme depuis 2000 ans : Jean Varlet a proposé une représentation de ces variations.

Avec le début du XXIe siècle, l’autoroute A89 permet à nouveau une traversée Ouest-Est que la centralisation parisienne avait fragilisée et qui pourtant existait dans l’Antiquité romaine, de même qu’au XVIIe où elle correspond à une ligne de postes cartographiée par le géographe Nicolas Sanson (1600-1667).

Les autoroutes forgent des paysages du mouvement où les perceptions sont fonction des trajectoires à grande vitesse. La signalétique nous prépare à voir ce que la géographie d’avant (celle des vieux manuels scolaires) a installé dans nos esprits comme repères visuels et toponymiques. Ainsi le Puy-de-Dôme annoncé au bout d’une petite flèche, quelques secondes avant que le panorama ne se déploie au moment où nous entamons la descente dans la Limagne.

Pendant que nous le traversons, le Massif central vit d’une autre vie que celles des flux qui l’organisent le long d’axes interrégionaux (Ouest-Est) et internationaux (Nord-Sud). Des étudiants de géographie de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand (avec les chercheurs Pascal Desmichel, Martin de la Soudière, Philippe Gajewski) rendent compte de cette vie locale qui se renouvelle et se restructure à partir des lieux de vie que sont les bistrots : « Quand le Massif central réinvente ses bistrots ». Mais il est plus question d’arpenter que de traverser.

Pour traverser le Massif Central, il faut enfin un motif quel qu’il soit. Ce sera l’acheminement dans une camionnette de location d’un bureau d’école de style Henri II, parti il y a quelques décennies de Bretagne pour rejoindre Lyon, avant d’effectuer cette traversée Est-Ouest.