La Marche limousine peut se traverser sans prêter attention à l’espace de marche-frontière qui demeure en palimpseste sous un paisible paysage de bocage.
Nous nous sommes arrêtés au Dorat. Sur la place du marché, au Nord de la ville : halte commode pour personnes en transit quand les bars et les restaurants sont fermés. Une vaste esplanade en hauteur, au-dessus de la vieille ville et de sa collégiale. On peut apercevoir les hauteurs d’une terre qui commence à s’élever et onduler, quand on vient du Poitou, et annonce la Montagne limousine au Sud. Un bocage plus ou moins desserré, plutôt arboré, couvre les longues pentes de la vallée de la Gartempe et les plateaux qu’elle entaille.
Sur un côté de la place, l’hôpital du Dorat, républicain (RF sur la façade), bouclé, pandémie oblige (?). Sur un autre côté, la route qui vient du Poitou (Montmorillon). Sur la place, une zone de parking peu organisée, mais aussi un parc. Un kiosque à musique (il a encore une lyre fixée à son sommet). Un château d’eau (années 1950 ?) récemment repeint. Un monticule et en haut un imposant cèdre : un cèdre de l’Atlas, Cedrus Atlantica.

Ce jour-là, le vent violent anime ses branches plus que centenaires (un cèdre arbre de la liberté de 1848 ?). Un square donc curieusement situé en bordure de ville, peu aménagé, complété d’ormes. De l’autre côté de la route qui le longe, le restaurant du Vieux-Cèdre, fermé.




Voilà donc un dispositif paysager peu apprêté, mais accueillant.
On est à l’emplacement de l’ancien château des Comtes de la Marche, rasé à la fin des Guerres de religion.

Ce château avait déjà été le théâtre de combats pendant la Guerre de Cent Ans deux siècles auparavant, la Marche étant constituée en zone tampon entre l’Aquitaine, anglaise sous les Plantagenêt, et le Berry français. En 1321, elle est rattachée au domaine royal et le Comté de la Marche est définitivement rattaché à la couronne de France en 1554. Une sénéchaussée de la Basse Marche est établie par un édit du roi Charles IX du 1er janvier 1562 au Dorat qui devient ainsi chef-lieu administratif, financier et judiciaire de la Basse Marche.

Les fronts ne se voient plus guère ; il reste le nom (la Basse-Marche comme dénomination d’un « pays » d’élevage et de tourisme, quelques éléments de fortifications dans le Dorat (la Porte Bergère), peut-être quelque écho paysager lointain (une partie du bocage de la Marche trouve son origine, même s’il existe quelquefois auparavant, dans le contexte de reconstruction rurale postérieure à la Guerre de Cent Ans) et ce ressaut de terrain sur lequel se dresse le Cèdre du Dorat.
Pour prolonger :
Sur l’histoire médiévale des paysages de la Marche : Glomot David, « Bocage et métairies en Haute-Marche au XVe siècle. Aux origines du système d’élevage en prés clos », Histoire & Sociétés Rurales, 2011/2 (Vol. 36), p. 41-74. URL : https://www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2011-2-page-41.htm
Sur l’histoire de l’ancrage territorial des aristocraties limousines : Christian Rémy, « L’ancrage territorial de l’aristocratie limousine (XIe-XVIe siècles) : quelques réflexions », Siècles. URL : http://journals.openedition.org/siecles/2322
Entre le XIe et le XVIe siècle, les terres dominées par l’aristocratie limousine s’avèrent de mieux en mieux renseignées. Cela est en partie lié à des lacunes documentaires progressivement comblées, c’est-à-dire au passage d’une société aux rapports largement oralisés vers un monde régi par l’écrit. Ce processus a pour corollaire une plus grande attention portée à la délimitation des espaces, c’est-à-dire une évolution allant d’un monde implicite vers un monde plus explicite, dans lequel les réalités sociales sont mieux définies géographiquement, davantage territorialisées. Toutefois, le Moyen Âge n’est pas le monde de la carte et les difficultés à territorialiser les phénomènes sociaux persistent somme toute jusqu’à la mise en plan avec les premiers essais de cadastration au XVIIIe siècle. Mais ce constat ne doit pas nous dissuader de cartographier les phénomènes médiévaux : comment, aujourd’hui, peut-on encore parler de territorialisation sans tenter, même imparfaitement, de la représenter graphiquement ?
Sur une archéologie des traces de l’aristocratie de la Basse-Marche : Boucher Jean-Pierre, Delhoume Didier, Gravelat Claire. Inventaire des résidences aristocratiques (XIVe-XVIIe siècles) en Basse-Marche limousine (Haute-Vienne). DOI : https://doi.org/10.3406/amime.2006.1606
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