Lier cinq espaces en une balade

Une balade comme une boucle avant le couvre-feu. Aller-retour à partir de Figeac. 12000 pas (moins de deux heures).

Photographie : Jean-François Thémines, 27 février 2021. Les débuts de la boucle, déjà deux espaces reliés

Pour une expérience, celle de lier cinq espaces en une boucle. Pas cinq lieux, mais bien cinq espaces : des mondes plus ou moins étendus où prennent place et qu’articulent des chemins successivement pris pour accomplir cette boucle.

Ce sont nos pas, leur enchaînement qui relient ces espaces, et permettent de passer de l’un à l’autre (saute-moutons ? coutures ? bifurcations ?). Mais ce sont aussi ces espaces qui font nos pas par les chemins qui les guident, par les fonctions qu’ont ou qu’avaient ces chemins, par les sensations que leurs tracés nous procurent…

Figeac, donc, en bas. Depuis le giratoire des Carmes, monter le chemin des Crêtes. On sort de la ville :  passées les villas des années 1910 en bas, années 1930 un peu plus haut, cela monte tout droit, raide, à l’attaque du versant.

Longtemps l’une des trois voies pour arriver à Figeac (avec le pont du faubourg du Pin où se rejoignaient plusieurs routes dont celle de Capdenac et avec la voie descendant du Ségala). On voit sa représentation sur la carte de Cassini : la future RD 440 n’existe pas encore. Elle n’est visible qu’à partir de la Carte d’Etat-Major ci-dessous.

Cette route des Crêtes reprend sans doute le tracé d’une voie romaine. C’est en tout cas l’hypothèse de Michel Labrousse, professeur d’histoire romaine à l’Université de Toulouse (voir carte ci-dessous). Voilà, nous sentons dans nos jarrets la pente d’une route d’Empire qui ne s’embarrasse pas de la rugosité du relief et nous mène vite à porter nos regards sur les lointains (espace n°1, échelle de la Gaule Celtique ?).

Auteurs de la carte : Laurent Grimbert, Vivien Mathé et Marion Druez (2016), à partir de Michel Labrousse (1978). On distingue bien le tracé supposé de cette route romaine, décalé de quelques dizaines à centaines de mètres à l’Ouest de la RD440, au Nord de Figeac

Cette route s’appelle des Crêtes tant qu’on est sur le territoire de Figeac. Transect classique pour une étude de la périurbanisation (espace n°2, échelle de la ville et de son environnement proche). Passées les villas des années 1930, on a les premières vues vers le Sud sur les pavillons des années 1960 au-delà du cimetière sur la colline de Montviguier (voir ci-dessous)

Photographie : Jean-François Thémines, 27 février 2021

Encore un peu plus haut, on dépasse les collectifs des années 1960 et on se retourne. Voir la vue. La vallée du Célé vers l’aval. Le Causse de Saint-Denis sur la rive droite, Béduer sur la rive gauche, le Causse entre Célé et Lot plus loin.

Photographie : Jean-François Thémines, 27 février 2021

Nous montons encore, toujours tout droit – toujours cette voie romaine, on regarde le ciel devant.  

Voilà le premier replat ; de part et d’autre de la route des pavillons des années 1980-1990. Pavillons égrenés le long des réseaux d’eau, de téléphone, d’électricité, de tout à l’égout, maintenant du ramassage des ordures ménagères. Le réseau de bus gratuit de la ville s’arrête plus bas : on est au pays où la voiture (beaucoup) et le vélo électrique (un peu) permettent les aller-retours du quotidien. Une petite grange, sa porte protégée de quelques pierres plates en dépassement au-dessus du linteau. Haie de thuyas d’un côté, pavillon à enduit rosé de l’autre (photographie ci-dessous).

Photographie : Jean-François Thémines, 27 février 2021

Un terrain où construire le pavillon, sans clôture, la voiture, une table sur la petite terrasse devant « la vue », une petite piscine mobile. En face, les premières collines du Ségala. La ville en contrebas [150 mètres de dénivelé] vers le Sud (à droite) est invisible. On est sur les Crêtes. Le but de ce chemin du périurbain (voir photographie ci-dessous).

Photographie : Jean-François Thémines, 27 février 2021

Un coup d’œil après-promenade pour voir l’apparition de cet espace entre les années 1960 (on perçoit les fondations des immeubles à venir) et aujourd’hui (voir ci-dessous).

Nous prendrons plus haut un petit chemin de traverse. Il suffit littéralement d’un pas de côté et nous sommes dans un chemin pour aller aux jardins (plus étroit, en herbe, plus souple, on serpente, la pente varie). Ces « jardins » sont envahis de ronces, mais on voit encore les portails, les murets, quelques pruniers. On est dans les pas et les horizons de villageois d’il y a peut-être encore 50 ans (?). Troisième espace : échelle du village (Planioles) et de ses environs.

Le chemin conduit à Planioles en contrebas. Pour atteindre le village, il faut traverser la RD440.

Bourg de Planioles, aménagement de « cœur de village ». Mairie récente. Un four à pain communal en fonctionnement. Pas de commerce, il faut la voiture pour descendre à Figeac.

Planioles : le bourg. Photographie : Jean-François Thémines, 27 février 2021

En contrebas du bourg, l’oratoire Saint-Pierre, en réfection. Petit patrimoine. Rural. Financement du Grand Figeac. Toujours cet espace villageois en recomposition. Traces de pratiques anciennes. Le chemin sur la droite n’est guère pratiqué Les yukas derrière, disent plutôt les années 1970.

L’oratoire Saint-Pierre en restauration en contrebas du bourg de Planioles. Photographie : Jean-François Thémines, 27 février 2021

Puis nous descendons jusqu’au chemin qui longe le ruisseau de Planioles. Il est emprunté par le GR 7 (chemin de Saint-Jacques, entre Figeac et Rocamadour via Cardaillac, Thémines et Gramat). Nous voilà d’un seul coup dans un large chemin, ombragé, aux amples courbes, plan. Quatrième espace : échelle de l’Europe de l’Ouest.  A ne pas voir comme sorti tout droit de la Chrétienté médiévale. Une fois le sanctuaire reconnu comme d’importance au XIXe siècle, il faut une inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, précédée de politiques publiques touristiques en Espagne (années 1960) et en France (années 1970) pour que les « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France » soient balisés, pourvus d’accueil (voir carte ci-dessous).

Source : archives ACIR/secrétariat d’État au tourisme et le service d’études d’aménagement touristique de l’espace rural, 1977. Tiré de : Sébastien Rayssac and Sébastien Pénari, 2017, Tourisme et chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France : pratiques, acteurs et gouvernance du bien culturel”, Sud-Ouest européen
Tiré de : Sébastien Rayssac and Sébastien Pénari, 2017, Tourisme et chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France : pratiques, acteurs et gouvernance du bien culturel”, Sud-Ouest européen

Ici, on est sur le Chemin du Puy, avec une « variante » qui remonte vers Rocamadour plutôt que de prendre directement la route de la vallée du Lot (voir carte ci-dessus).

Ce fragment de chemin jacquaire est aussi un lieu de promenade pour Figeacois voulant échapper aux voitures et au soleil estival.

Et nous revenons à Figeac par ses bordures Nord avec arrêt pour photographier ce pavillon construit en contrebas du cimetière dans les années 1930 (photographie ci-dessous).

Pavillon proche du centre ville. En arrière- plan la colline du chemin des Crêtes. Photographie : Jean-François Thémines, 27 février 2021.

Nous avons trouvé les premiers trottoirs goudronnés il y a cinq minutes. Cinquième espace : à l’échelle de la ville, à portée de rempart médiéval, du foirail et de ses marchés hebdomadaires, mais à distance d’un centre-ville longtemps dégradé. Rêve de propriété avec jardin en ville, l’air des premières collines, sans doute la bicyclette pour se déplacer commodément, la vie moderne de l’époque.

Voilà comment cette ballade à 12000 pas nous a fait relier cinq espaces ! 

Pour aller plus loin

Sur le Quercy gallo-romain : Laurent Grimbert, Vivien Mathé et Marion Druez, 2016, « Pech Piélat (Séniergues, Lot) : un relais routier antique en pays cadurque », Gallia [En ligne], 73-1. URL : http://journals.openedition.org/gallia/486

Michel Labrousse, 1978, Le réseau des voies antiques du Lot, Quercy Recherche, 22, p. 10‑17.

Sur les chemins de Saint-Jacques dans le Sud-Ouest : Sébastien Rayssac and Sébastien Pénari, 2017, Tourisme et chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France : pratiques, acteurs et gouvernance du bien culturel”, Sud-Ouest européen. URL: http://journals.openedition.org/soe/2588 

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