Voyage à Yoshino, de Naomi KAWASE

Dans la montagne de Yoshino (voir ci-dessus : captures d’écran rendant compte d’un étagement dans l’occupation de l’espace, du tunnel en bas aux sommets des montagnes en haut) :

Aki, une dame aveugle, elle connaît les plantes, la forêt, le vent et la pluie qui vient, l’histoire des villages que leurs habitants ont quittés, elle dit qu’elle a mille ans ;

Tomo, revenu de la ville, devenu yamamori, il passe au sanctuaire, il entretient la forêt, il la parcourt avec Ko son chien, il écoute les arbres, il dîne et parle avec Aki ;

Jeanne franchit le tunnel, elle revient sur un moment de son histoire ici ;

Rin, un jeune homme apparaît dans la maison de Tomo puis disparaît

Ko, le chien blanc compagnon de Tomo, vif comme un esprit de la forêt est tué un jour…

Ce n’est pas l’idéalisation d’un mode de vie ascétique hors du temps. Les ruptures sont perceptibles : dans les parcours des personnes (l’une va mourir, l’autre est revenu, d’autres passent plus brièvement), dans les trajectoires des villages que laissent deviner des témoignages d’habitants et les voix du passé, dans les signes de déséquilibres (les bourrasques de vent, le feu).

Ce n’est pas non plus l’idéalisation de paysages qui ont compté dans l’histoire de la représentation du paysage japonais (voir ci-dessous des oeuvres de Hokusaï : Chute d’eau à Yoshino où Yoshitsune a lavé son cheval ; Kiyochika : Nihon meisho zue (Vues fameuses du Japon) ; Hiroshige : Montagnes de Yoshino).

On ne trouvera pas de vues panoramiques sur les cerisiers en fleurs, de calligraphes sur le motif, de touristes montant depuis la gare de Yoshino pour contempler ce « Japon éternel« . Voir ci-dessous le spectacle sur Google Earth Street View (la Google Car a dû rouler un peu plus haut sur les touristes)

Une des routes gravissant la montagne de Yoshino (Street View)

C’est un essai de représentation filmique d’un milieu, au sens qu’Augustin Berque a pu « retrouver sous ce mot » usé par les sciences occidentales et à partir du concept de fûdosei forgé par le philosophe japonais Watsuji.

Un milieu, c’est une relation, la relation d’une société à l’espace et à la nature.

« Cette relation, c’est-à-dire un milieu tout court, n’existe que dans la mesure où elle est ressentie, interprétée et aménagée par une société ; mais aussi, inversement, cette part du social est constamment traduite en effets matériels, qui se combinent avec des faits naturels. Tous ces effets vont dans un sens, qui est l’évolution objective du milieu en question ; mais cela justement dans la mesure où ils sont, aussi, perçus en un certain sens et représentés par en un certain sens par la société ; lesquels sens, donc jouent de manière mi-subjective mi-objective dans cette évolution » (Berque, 1990, p. 32).

L’essai cartographique ci-dessous essaie de dire quelque chose de ce milieu mis en péril.

C’est ainsi qu’on peut avoir mille ans, installée dans ce courant d’une relation durablement orientée… mais que les ruptures de la période dite de la haute croissance ont fragilisée.

Et du Japon au Monde, ce sont les risques encourus du fait de ces ruptures – il ne s’agit plus de la seule période de Haute Croissance, mais bien de mondialisation économique et financière – dont nous entretient Naomi Kawase.

Pour aller plus loin :

La bande annonce du film : https://www.youtube.com/watch?v=A9NyTFKefNQ

Un entretien avec Naomi Kawase en 2018 :  https://www.debordements.fr/Naomi-Kawase

Un reportage photographique sur Le monde des yamamori Marche dans les forêts de Yoshino avec un yamamori : https://yoshi-note.com/fr/post-forest/38281

Un des nombreux récits photographiques de voyage dans la montagne de Yoshino, par Aurélie Ropecht. URL : https://nippon100.com/fr/nara-yoshino-shugendo

Et la lecture d’Augustin Berque, 1990, Médiance de milieux en paysages, Géographiques, RECLUS

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