
Lurçat intime est une exposition d’œuvres sur papier de Jean Lurçat proposée cet été au Pavillon Comtesse de Caen de l’Institut de France par la Fondation Jean et Simone Lurçat et l’Académie des Beaux-Arts.

L’exposition rassemble une centaine de dessins à la pointe sèche ou à la mine de plomb, d’aquarelles et de gouaches réalisées des années 1910 aux années 1950.
Dans la pénombre de l’espace scénographique conçu par Jean-Michel Wilmotte, le plus bel élément de l’exposition est sans doute cette suite de quatre aquarelles au format 56 X 70 cm réalisée en 1919, intitulée La transfiguration d’Ocello. Le cycle s’ouvre avec un Ocello méditatif à la cime des arbres qui se métamorphose finalement en un pilote d’avion biplan de la Première Guerre mondiale dont les souvenirs hantent Jean Lurçat.
Les perspectives multiples déploient des paysages à la fois vastes et comprimés, ramenés/redressés vers le spectateur. Un peu comme des mondes en réduction que l’œil pourrait fouiller à loisir vers le haut, vers le bas, dans les coins, guidé par des lignes contours. Arbres seuls ou en rangées, villages-rues et groupes de personnages peuplent ces mondes tandis qu’un vol d’oiseaux rouges semble procurer une unité narrative à l’ensemble.
Prenant la chronologie de l’œuvre de Lurçat à rebours, on peut trouver des correspondances entre cette Transfiguration d’Ocello et les verdures, tapisseries produites aux XVIIe et XVIIIe siècles par les manufactures d’Aubusson que le peintre contribue à faire évoluer techniquement et artistiquement à partir des années 1940.

On peut aussi lui trouver des correspondances avec sa manière après la Seconde Guerre mondiale d’appréhender « la nature » post-Hiroshima comme un tout – inclus l’être humain. Aux paysages en ruine de civilisations mortes peints dans les années 1920-1930, succèdent les études et tapisseries qui montrent la possibilité et la nécessité de reconstruire ce tout.
Aux silhouettes d’oiseaux fugaces de la série d’Ocello, succède un bestiaire, tempéré ou glorieux selon les moments, de coqs, d’insectes et de chouettes.

Ce bestiaire culmine avec la dernière période de sa vie, passée au château de Saint-Laurent-les-Tours (Lot) dont il fait l’acquisition après 1945.

Aux chiens, compagnons de vie de longue date, s’ajoutent les coqs, les chèvres et bien d’autres animaux des campagnes qui s’étendent au pied de ce château venu du Moyen-Age.


Tout s’étage sous mes yeux, pentes en espalier, chemins creux, herbages, quelques rocs à vif, chemins encore, fruitiers, fruitiers, fruitiers à n’en plus finir ! Puis, enfin, les premières vignes veillent et surveillent, il ne faut pas rater le moindre grain de soleil. A dire vrai, vues de si haut, de chez moi, mes côtes voisines ne me semblent plus que l’écho de ce qui m’échauffe entre les quatre murs de mes ateliers.
Mes amis, les visiteurs, en sont frappés. On m’accuserait pour un peu d’avoir tracé, bâti, ratissé, planté ces pentes, d’avoir inventé Donadieu et sa ferme à tour carrée, ces chèvres en procession, et en bas à droite ce cimetière qui, si vous êtes sensible…
Mais je suis moins protocolaire qu’il n’apparaît. Mes voisins savent et peuvent en témoigner que ces côtes et tout ce tricot de vignes, de fermes et de chemins, de rocs, de crêtes et de creux, je n’y suis pour rien… Jean Lurçat [Extrait de Lettre à Monsieur de Précigout sur une licorne, mars 1951. Cité dans Lurçat à Saint-Céré, Galerie du Casino, 1977].
Pour aller plus loin : le site de la fondation Jean et Simone Lurçat : https://www.fondation-lurcat.fr/publications
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