01er novembre 2021, 13h30. Montant par le chemin des Gourgues, allant en direction des Pradels et le chemin du Roc, nous ramassons des figues mûres que le vent d’Ouest fait tomber dans l’herbe. Puis nous longeons le château d’Assier pour la millième fois peut-être. Le temps de parcourir visuellement sa façade extérieure.

Il y a ce détail que la lumière d’automne souligne. Ce détail dans l’aile d’un ancien château Renaissance dont il reste peu de choses.

Photographie : Jean-François Thémines, 01er novembre 2021

Un buste d’homme semble sortir du fronton triangulaire à gauche de la niche dévolue à une statue équestre du constructeur de ce château, Jacques Galiot de Genouillac.

Ce buste appelle le regard sur une façade où il ne reste plus aucune autre représentation humaine.

Il attire aussi en raison de la force qu’il dégage : un jaillissement, un élan, un visage tendu.

Le personnage représenté invite à emprunter la direction de son regard, à le regarder aussi « dans les yeux », donc à circuler devant la façade. Nous n’avons pas fait que « longer » le château. Quelques pas vers le sud pour voir ce regard, quelques pas vers le nord pour voir « par-dessus son épaule ». On admire le modelé du visage, la saillie que forment la chevelure bouclée et la barbe de ce personnage.

Le sculpteur était habile.

Qu’est chargé de dire ce buste qui apparaît en 1535, lorsque l’aile ouest du château est transformée par Galiot pour devenir une entrée principale conçue en arc de triomphe (son triomphe) ?

Et aujourd’hui, que peut-il dire ?

Enième occasion d’une méditation sur les ruines ? D’autant que la destruction et l’éparpillement des figures d’empereur romain initialement enchâssées dans les façades rejouent la disparition de l’Empire.

Ou d’une méditation sur la vanité des hommes ? Les efforts d’une vie (la seconde partie de sa vie) de seigneur – quatre périodes sont à distinguer selon Marie-Rose Prunet-Tricaud – permettent d’achever un château, que les vicissitudes de sa descendance conduisent rapidement à l’état de ruine, d’une ruine aujourd’hui restaurée et visitée – un peu.

Mais, justement, il est difficile en le voyant de ne pas penser qu’il est visible depuis bientôt 500 ans, qu’il a été vu par Galiot, par ses contemporains co-seigneurs du lieu avec lesquels il a dû marchander pour pouvoir agrandir son château, vu par ses visiteurs prestigieux ; vu aussi par des générations de villageois dans divers contextes : une succession qui conduit bientôt au délaissement (derniers travaux d’entretien en 1721) et à l’abandon (vente pour démolition en 1768) avant un processus de patrimonialisation qui commence en 1901 ; vu donc aussi à partir de ce moment-là par des voyageurs, des touristes.

Qui voit ? Qui voit quoi ? D’où ? Et comment ?

C’est là que commencent les géographies d’une sculpture, articulation d’un espace de représentation – cette composition spatiale qui structure la façade extérieure – et d’un espace de perception qui permet de la saisir (d’où je vois, comment je m’y prends pour voir quoi, comment se fait-il que je puisse voir ?) ; les deux espaces pris dans leur aspect de matérialité proche mais aussi dans la dimension spatiale de leurs contextes de production et de saisissement.

Prises en ce sens, trois géographies s’entremêlent. C’est ce que cette figure sculptée rend sensible (pour moi).

1535 : voici notre buste mis en place. Travaillé dans du grès provenant de la région de Lacapelle-Marival, à une dizaine de kilomètres, par un sculpteur inconnu : cet artiste de chantiers de châteaux venait-il du Val de Loire, d’Italie ? Ce qu’il produit participe en tout cas d’un nouveau langage architectural qui montre l’insertion du château bientôt terminé dans l’Europe de la Renaissance. Elle est l’écho sculpté de l’itinérance d’un homme de Cour, de haute administration et chef de guerre ; un de ces seigneurs aussi qui entre France, Italie et Levant, a participé à la « croisade de Mytilène » (1501). Plus localement et trivialement, le grand homme a dû s’imposer dans ce castrum étroit pour dégager l’espace faisant face à ce qui deviendra l’aile Ouest de son palais ; de sorte que le triomphe sculpté (la statue équestre) puisse être admiré avec la perspective minimale de rigueur.

Ce dégagement il y a bientôt 500 ans est la condition initiale nécessaire pour aujourd’hui encore longer le château. Alors, cette figure sculptée qui sans doute ne se voit guère dans une aile organisée autour du portail central, que dit-elle ? Est-ce le héraut qui célèbre la renommée de Galiot ? Un guetteur qui l’avertit d’un danger ? Un protecteur qui veille sur ses arrières (la statue équestre est tournée vers le personnage) ? Galiot lui-même dans sa force vitale ?

On ne le perçoit guère en tout cas, ou de façon très schématique, dans ce dessin à la plume, lavis d’encre de Chine et aquarelle ayant appartenu à l’historiographe et collectionneur Roger de Gaignières (1642-1715) qui est la seule représentation du château tel que Galiot l’a vu terminé (voir ci-dessous, l’image est aussi accessible au lien suivant : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b69026276.item)

En haut à gauche du portail triomphal central, il est cependant un motif de renforcement du message porté par la nouvelle composition de la façade.

Fin XVIIeme : le château est devenue une carrière, une ressource commode en pierres de construction, boiseries, serrureries. Et si des fêtes d’importance furent données au château pendant les décennies suivant la mort de Galiot, selon François Maynard (1582-1646), les ducs d’Uzès qui en héritent s’intéressent davantage à Paris (et Versailles), siège d’une monarchie et d’une Cour moins itinérante qu’au XVIe siècle. La démolition du château d’Assier sert à financer la construction rue Montmartre de l’hôtel d’Uzès par Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806).

Finis donc les horizons européens, tari ce lien privilégié avec le Languedoc. L’échelle locale prévaut : si quelques belles pièces ont été vendus par une maison de Cahors (on les retrouve plus tard au Musée du Louvre), la plupart des matériaux trouve preneur dans le village. Le vendeur se réserve cette aile Ouest du château pour vendre des pierres pour lui-même, ce qui explique la persistance du buste deux siècles plus tard. En 1788 tout est vendu.

Avec la Révolution, la statue équestre de Galiot, peut-être assimilée à une représentation de monarque, est détruite et dispersée. Le buste échappe à la dégradation parce qu’il n’évoque pas une semblable figure. Il est aussi assez haut sur la façade pour qu’un passant ne se décide à l’emporter pour l’insérer dans un mur de sa maison. Devant le château, la place a été appropriée sous la forme de jardins et de vignes. Des murets sont édifiés comme autour de chaque parcelle de terre sur le Causse. Un platane à gauche (planté en 1830 ?) et une construction (l’actuelle mairie) entrave la perspective qui avait été dégagée.

Nul ne peut plus passer devant le château, comme le montre cette photographie prise en 1903 par Eugène Trutat (1840-1910) photographe, conservateur et directeur du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse (voir ci-dessous). Qui voit encore ce buste ?

1901 : le bâtiment n’est ni plus ni moins qu’une grange, ainsi que le montre la photographie d’Eugène Trutat. On a planté une vigne à l’intérieur du château… Henri Chaîne, architecte du gouvernement, se rend rapidement à Assier après que les propriétaires des lieux (la famille Murat de Montaï) aient demandé l’aide de l’Etat pour faire face au délabrement du bâtiment.

C’est le début d’un processus de patrimonialisation, amorcé cependant par quelques voyageurs dont, dans les années 1830, l’illustrateur Adrien Dauzats (1806-1868) qui produit une lithographie de cette façade dans les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France du baron Taylor. Le buste est précisément représenté dans une ruine livrée aux éléments.

L’échelle nationale s’impose au local avec l’achat de la ruine par l’Etat, sa restauration et sa mise en tourisme. L’ancienne place encombrée de cultures est dégagée : on peut à nouveau passer sous le buste : c’est ce que nous avons fait le 01er novembre 2021. Le partage des compétences territoriales en matière de tourisme a renforcé l’articulation des échelles intercommunale, départementale et régionale pour assurer la promotion touristique du château. Les monuments nationaux en proposent des guides en trois langues. L’échelle européenne est donc de retour avec des touristes potentiels parlant anglais ou espagnol.

On retrouve la Renaissance sous la ruine.

Et le buste devient un emblème de cette nouvelle renaissance (voir photographie ci-dessous)

Pour en savoir plus :

Marie-Rose Prunet-Tricaud, 2014, Le château d’Assier en Quercy. Une œuvre majeure de la Renaissance retrouvée. Paris, De Architectura, Editons Picard

Jean-Pierre Amalric, 2013, « La fortune dʼun homme de guerre de la Renaissance : Galiot de Genouillac (1465-1546) » dans Foissac P. (dir.). Vivre et mourir en temps de guerre de la préhistoire à nos jours. Presses Universitaires du Midi. Accessible au lien suivant : https://books.openedition.org/pumi/31111?lang=fr

et pour appréhender une nouvelle iconographie promotionnelle que l’utilisation de drones rend possible, ce site : http://www.chateau-assier.fr/

dont est extrait l’image suivante.

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