Julien GRACQ, l’oeil géographique

Julien Gracq, l’œil géographique est une exposition qui marque le soixante-dixième anniversaire du refus du Prix Goncourt par Julien Gracq en 1951. Organisée par la Maison Julien Gracq, la Ville de Caen et l’université d’Angers en partenariat avec la Ville d’Angers, elle est actuellement de passage à la bibliothèque Alexis de Tocqueville à Caen.

Assez aéré et lumineux, l’espace d’exposition propose 55 photographies regroupés en cinq thèmes : A travers la France, Amérique, Montagnes, Italie et Ibérie. De format identique, les photographies sont disposées à la même hauteur et avec des espacements identiques ; elles proposent une sorte de travelling dans les paysages choisis par Julien Gracq.

Entrée dans l’espace d’exposition, bibliothèque de Tocqueville
Les montagnes, photographies, fac-similé de manuscrit
Comme un travelling en Espagne

Ces photographies ont sans doute eu une fonction documentaire, de constitution d’une mémoire. Elles sont des prises de notes visuelles, un exercice classique pour un géographe soucieux de « terrain » ainsi que la pratique en avait été codifiée au tout début du XXe siècle.

Julien Gracq s’était d’ailleurs vu confier par Emmanuel de Martonne en 1937 un sujet de thèse sur : « La Crimée, étude géomorphologique ». La fermeture de l’URSS, puis la guerre, la campagne de France où il est fait prisonnier l’amène après sa nomination comme assistant de géographie à l’université de Caen en 1942, à opter pour un autre sujet au bout duquel il n’est jamais arrivé : une « étude géomorphologique de la Normandie occidentale ».

Il a expliqué son choix initial de la géographie

« Quand je pense à mes années d’étudiant je me réjouis de la chance qui me fit choisir une discipline toute jeune et presque à l’état naissant comme l’était alors la géographie, cependant que mes camarades s’engageaient dans l’ornière sans imprévu et sans horizons de l’épigraphie latine ou de l’archéologie grecque. Le fondateur, Vidal de la Blache, était mort depuis douze ans à peine. De Martonne, son gendre et successeur, et Demangeon étaient en plein exercice ; en fait, la géographie moderne, sortie du néant depuis une quarantaine d’années à peine, avait l’âge à peu près de la psychanalyse ou de la sociologie. Nulle part, le cordon ombilical n’était coupé ; du côté de la géologie, du côté de l’histoire, du côté de l’économie, de la météorologie, de l’agronomie, des sciences politiques même, elle s’alimentait toujours librement. Elle n’était pas entrée dans le règne aride de la mesure et de la quantité : dans les excursions interuniversitaires de fin d’année, auxquelles une bonne partie des titulaires de chaire participaient, un tact de clinicien, encore presque artisanal, faisait toute la valeur des points de vue qui s’échangeaient » (Carnets du grand chemin, José Corti, 1992, p. 149).

De cette pratique conçue comme une clinique par les formes (Orain, 2006), les photographies portent la marque : l’importance du relief, les continuités entre formes géologiques et formes de l’habitat, une prédilection pour les très faibles densités humaines, la profondeur qui crée les paysages, le goût de la typologie qui guide le regard porté sur les cas observés (voir les exemples ci-dessous).  

Aubrac
Falaise en Normandie
Ardennes (Un balcon en forêt ?)
Saint-Florent-le-Vieil

C’est donc pas tant l’oeil géographique qu’UN œil géographique – parmi d’autres – celui d’une géographie qui n’est à ce moment plus naissante et cherche la « bonne » distance avec les milieux humanisés, que cette exposition de photographies de Julien Gracq nous donne à voir.

Et pour en savoir plus

L’un des nombreux textes de Jean-Louis Tissier (géographe) sur Julien Gracq : Julien Gracq, le paysage et le territoire : https://www.lhistoire.fr/julien-gracq-le-paysage-et-le-territoire

Le documentaire de Michel Mitrani et Françoise Dumas, intitulé : Julien Gracq – La chanson du guetteur (1995) (on y entend la voix de Julien Gracq). Lien : https://www.youtube.com/watch?v=Pv_H7IWq19A

Le texte d’Olivier Orain (épistémologue de la géographie) – qui dépasse largement le cas de la géographie vidalienne – Une clinique par les formes : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00114911/document

Et de Julien Gracq : Carnets du grand chemin chez José Corti pour y (re)trouver les correspondances entre l’œuvre publiée et certaines des photographies (la Castille, l’Aubrac…).

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