Ici commence le jour.
La brume se dissipe sur un bocage à (très) larges mailles.
Les bois et la forêt ne sont jamais loin ; celle-ci est juste derrière (à gauche sur la première photographie) : on est en lisière de la forêt du Perche et de la Trappe. Elle coiffe un plateau aux alentours des 300 mètres d’altitude. Face à nous, une déclivité qui conduit jusqu’aux ruisseaux de Commeauche et Bouyère. Plus loin, invisibles pour l’heure – mais on les voyait hier en fin d’après-midi – des horizons boisés un peu moins hauts que celui auquel nous sommes adossés (voir photographies ci-dessous).


Pour un géographie classique (postvidalien) – Pierre Brunet dans l’Atlas des paysages de Basse-Normandie, on est dans un « paysage aux bois ». Voici sa description :
Les fronts forestiers
Là où les grandes forêts du Perche septentrional ne dominent pas directement les collines du Perche central, un liseré agricole conserve une présence généralisée des arbres, telle une frange de ces sylves majestueuses. Sur ces plateaux aux horizons plans, l’arbre prend un rôle paysager renforcé et il l’exprime de multiples façons. C’est d’abord le front continu des massifs, barrière sombre même si son dessin est souvent indenté. De fond de tableau, il devient écrin lorsqu’il entoure ou encercle l’espace habité (Bresolettes, Prépotin, Les Genettes). Il s’affirme aussi dans la multitude des bois ou bosquets de faible superficie, restes laissés par un essartage incomplet de sols ingrats. Il s’élève audessus des basses strates des haies nombreuses qui cernent les parcelles autour des fermes isolées, des hameaux et des minuscules villages aux bâtiments de silex et de briques. Il compose enfin les vergers de pommiers.
Au milieu des étendues boisées, de grands étangs artificiels introduisent leurs nappes d’eau sombre dans quelques petites clairières (étangs de la Grande Trappe, de Bresolettes, du ruisseau de Sainte-Nicole, de Bouillon et du Chevreuil…).

A cette heure matinale, on peut voir des chevreuils dans les prés avec les vaches, après qu’ils aient parcouru la forêt et en aient traversé les routes humaines dans la nuit.
Ici commencent la Loire et la Seine (c’est la tante de Julie, sculptrice, qui me l’a signalé)
Devant nous la Loire : en contrebas, le ruisseau de Commeauche. Quelques kilomètres plus loin, au prix d’une courbe à 90 degrés vers le Sud, il rejoint l’Huisne à Boissy-Maugis. L’Huisne rallie à son tour la Sarthe – passage par Alençon, Le Mans – qui alimente les eaux du Maine avant qu’elles ne rejoignent la Loire.

Derrière nous, la Seine. Deux cent mètres au Nord, sur le plateau forestier, prend forme le ru appelé Avre – nous nous promènerons dans l’après-midi sur les premiers hectares de son bassin-versant. L’Avre descend progressivement vers le Nord-Ouest pour rejoindre l’Eure affluent de la Seine.

Nous sommes près de la ligne de partage des eaux entre les bassins de la Seine et de la Loire. Cette ligne invisible traverse le Bassin parisien du Perche à la Beauce, puis à la Sologne et la Puisaye. Mais c’est la ligne actuelle… car cette limite « migre » à l’échelle du Quaternaire (nombreuses énigmes géologiques à déchiffrer entre ces deux bassins qui communiquèrent). Dans cette portion septentrionale du Perche, les spécialistes (Larue et Etienne, 2014) disent que ligne de partage des eaux se serait décalée plutôt vers le Nord.

Ici commence le Canada
Tourouvre et le Perche sont une des régions de départ de l’émigration française vers la Nouvelle-France. Les Percherons représentent environ 5% des 3500 personnes arrivées au XVIIe siècle et installées dans la vallée du Saint-Laurent. L’église de Tourouvre rassemble des éléments commémoratifs de cette émigration : un vitrail tardif (fin XIXeme siècle) représente le départ pour le Canada, vers 1650, de Julien Mercier et de quatre-vingt familles de Tourouvre et des environs. Une plaque commémore le souvenir de Robert Giffard, médecin apothicaire né près de Tourouvre, arrivé en 1621 à Québec où vit alors une quarantaine de colons. Il revient en France et retourne en 1634 pour s’établir avec femme et enfant à Québec, accompagnés de bûcherons percherons aptes à reconstruire le village dévasté par les Anglais et à poursuivre le défrichement de la forêt en terre iroquoise.



Aujourd’hui le Canada commence dans le monde entier si on prend pour référence les pays d’origine des néo-entrants et de leurs parents. Voir infographie au lien suivant : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/221026/g-a004-fra.htm

Ici commence ma vie
Je suis né à Mortagne quelque part par ici, plutôt vers la droite sur la photographie (le Sud) et n’y ai plus résidé, une fois les premiers jours passés à la maternité.

Certains lieux se prêtent-ils davantage que d’autres à ce jeu géographique du « Ici commence… » ?

Le surlendemain matin, mardi 16 mai, 5h45, arrêt de bus près de la Porte de Charenton pour rejoindre la gare de Paris-Bercy, direction Clermont-Ferrand. Face à l’arrêt de bus (photographie ci-dessous), à cinquante mètres tout au plus, l’A4 avant qu’elle ne rejoigne le périphérique parisien. Ici commence…
Pour revenir à Tourouvre et poursuivre
Atlas des paysages de Basse-Normandie : https://www.normandie.developpement-durable.gouv.fr/l-inventaire-regional-des-paysages-basse-normandie-r618.html).
Sur les tribulations de la ligne de partage des eaux entre bassins de la Seine et de la Loire : Jean-Pierre Larue et Robert Étienne, 2014, « Évolution quaternaire de la ligne de partage des eaux entre les bassins de la Seine et de la Loire, du Perche à la Puisaye : hydrographie, structure et tectonique », Norois, https://doi.org/10.4000/norois.5044
Et sur les migrations percheronnes au Québec : https://www.perche-quebec.com/perche/lieux/perche.htm
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