C’est l’histoire d’un moulin qui n’est plus un moulin depuis des siècles mais qui l’est quand même depuis cinq ans.
Il y a cette pancarte apposée récemment par Jean-Pierre Vermande, responsable du chantier-école de restauration du moulin que l’on peut voir derrière (voir ci-dessous).

Découverte d’un lieu, récit d’une re-découverte ?
Ou une invention ? Aujourd’hui, fonctionnellement, ce moulin est un gîte avec l’eau courante et l’électricité. Il est également un repère à partir duquel développer des pratiques de découverte du patrimoine comme en atteste cette promenade organisée en 2019 (voir ci-dessous).

https://www.ladepeche.fr/2019/05/04/balade-decouverte-sur-les-chemins-de-lhistoire,8180076.php
Il est aussi un outil de diffusion d’images de paysage patrimonialisé. A côté du moulin qui n’a jamais autant ressemblé à l’idée que l’on se fait d’un moulin, un champ de lavande évoque cette culture pratiquée jusqu’au milieu du XXe siècle sur le Causse de Gramat, mais disparue (voir ci-dessous).

Alentour, les chemins qui quadrillent le causse n’ont pas été aussi dégagés depuis longtemps. Les murets de pierre sont redressés ici et là, au gré des initiatives privées, quelquefois avec le soutien du Parc Naturel Régional des Causses du Quercy (voir ci-dessous).

Aucun paysage n’est figé. Alors, c’est parti pour une petite promenade dans nos promenades.
Aujourd’hui, le moulin, les ailes, le champ de lavande, les murs de pierres redressés. Le panneau avec une reproduction d’une ancienne carte postale. Il y a 120 ans, une ruine (voir ci-dessous).

Dans les années 1970, nous nous y promenions : on y voyait les mêmes excavations dans les murs (porte et fenêtre extraites pour la récupération de belles pierres qui ont dû servir ailleurs), l’absence de toiture – effondrée depuis combien de siècles – pas même un élément de charpente dans le cône de gravats qui en garnissait le sol. Pour y accéder, il fallait serpenter entre les pruneliers qui commençaient à grignoter le terrain. A côté de la ruine, le moulin à la belle forme oblongue et au petit toit quercynois, était un plus beau sujet, sans doute parce qu’il ne disait pas l’abandon. Il était habité par des pigeons. Les cèdres parachevaient le tableau (voir ci-dessous)

Le chemin qui part du passage à niveau situé à la sortie du bourg d’Assier, sur la route de Livernon était praticable. Il s’écarte progressivement de cette route. On la voit, cette route, un peu vers l’Ouest, sur la photographie aérienne des années 1950. On perçoit aussi très bien le carroyage des chemins bordés de murets. Pas de déprise : les champs sont tenus. On devine les deux moulins : la ruine et l’autre moulin, clos et recouvert (cernés de rouge sur la photographie ci-dessous).

Avant, pour aller d’Assier à Livernon, il n’y avait pas de route, mais ce réseau de chemins qui demeure et que l’on voit sur la carte d’état-major du début de la seconde moitié du XIXe siècle (voir ci-dessous). Les gens vont alors d’un bourg à un autre (quatre kilomètres) pour les foires, les fêtes. Ils se déplacent aussi vers les champs ou en reviennent à pied, accompagnés ou non de chèvres, de moutons ou de vaches. On longe alors lentement les moulins – quand ont-ils perdu leurs ailes, leurs meules – ou on passe plus au large, à partir du Mas de Molinié ; mais on peut les voir sur la légère voussure du causse où ils ont été construits. D’autant qu’il n’y a sans doute nul arbre autour.

Alors, est-ce le même paysage qu’on voit aujourd’hui autour de ces « moulins » ?
Non, bien sûr. La route ouverte à la fin du XIXe siècle a été doublée à la fin du siècle suivant d’un nouveau tracé qui élimine les virages dangereux. Au lieu de rouler, un peu chaotiquement « à fleur de causse », les remblais et les tranchées dans le calcaire nous font passer alternativement sous sa surface originelle ou légèrement au-dessus. C’est une autre expérience, des vues sur une surface ondulante et boisée qui ne laisse guère deviner les murs de pierres et les chemins de causse… On sort du village, sinon plus vite, en tout cas en empruntant un réseau plus étranger topographiquement au substrat qu’il traverse. Et on ne voit pas le moulin qui a pourtant retrouvé des ailes.
Et si nous voyons le causse boisé depuis le ruban goudronné, c’est qu’il s’est refermé depuis cinquante ans avec la réduction des parcours de pâture et la perte d’usages multiples de ces espaces (réserve de fourrage, de bois, de petits fruits, etc.). A pied, depuis les chemins il est rare de voir plus loin que le muret de l’autre côté de la parcelle. Il est même plus fréquent de ne pas voir ce muret d’en face, à travers les petits chênes, les érables et les cornouillers.
Après les prunelliers, la ruine avait vu se développer les faux vernis du Japon, envahissants dans cette petite partie du causse sans entretien jusqu’à une date récente (voir ci-dessous).

Et puis, lors d’une promenade, il y a quelques années, le moulin sans ailes est apparu ainsi, éclairé, surprenant fanal pour qui arrivait du causse.

La photographie aérienne la plus récente (2019) le montre en tâche blanche au bord de sa parcelle. On y voit aussi l’alternance des terrains repris ou maintenus comme espaces de pacage pour des moutons ou des vaches, ou comme terrain de loisirs (chevaux, jardinage, plantation de chênes truffiers, etc.) et des terrains en friche (prunelliers, genévriers, etc.).

Les paysages ne cessent de changer : ce que l’on en perçoit, d’où on le perçoit, comment on le perçoit, comment on en parle et dans quelle langue : celle d’un parler local transcrit sur la vieille carte postale, celle des automobilistes des routes de liaison rapide d’aujourd’hui, celle du patrimoine parlée par le PNR et ses partenaires, celle des promeneurs des Journées du même nom.
Quelle langue du paysage parlons-nous ?
Pour plus d’informations :
Sur le chantier-école qui a permis la reconstruction du moulin : https://www.formation-ecoconstruction.com/project/chantier-ecole-formation-eco-construction-le-moulin-de-galiot/
Sur les activités de l’Association Foncière Pastorale du parcellaire d’Assier : https://www.lepetitjournal.net/46-lot/2019/06/04/la-reconquete-pastorale-valorise-le-patrimoine-bati/#gsc.tab=0
Et sur la lecture des paysages occidentaux et de leurs mutations, entre autres, la patrimonialisation de certains, ce livre d’un des spécialistes des landscape studies : John Brinckerhoff Jackson, 2005, De la nécessité des ruines et autres sujets, Paris, Editions du Linteau.
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