Il y a des endroits plus compliqués que d’autres, parce qu’ils rassemblent, à quelques dizaines de mètres de distance, des éléments qui n’ont pas grand-chose à faire ensemble… sauf qu’ils sont dans le même « endroit ». Ils sont en tout cas proches, à portée de regard les uns des autres, à portée de promenade.
Je dis « endroit » parce que ce n’est ni un lieu (il n’a pas d’unité), ni un espace (il n’a pas d’organisation autonome identifiable). C’est plutôt d’étendue limitée, dans un secteur donné, cela peut être identifié en particulier parce que c’est situable (par rapport à des lieux). C’est plus grand qu’un coin, mais plus petit qu’une région.
L’endroit a des propriétés variables selon les périodes, les échelles et les acteurs ; mais elles l’ont rendu intéressant, utile, nécessaire, important, peut-être vital pour certains, à certains moments, pour des raisons différentes. C’est de là que vient ce voisinage quelquefois incongru d’équipements, de trafics, d’objets qui obéissent à des logiques bien différentes même s’ils se touchent, se croisent et… en font cet endroit.
Le plus intéressant, ce sont les frottements entre ces logiques, ce sont les différences entre les mouvements qui animent ces espaces distincts à l’intersection desquels se trouve l’endroit. Ce sont aussi les différences dans les façons qu’ont les lieux de renvoyer à ces espaces plus vastes auxquels ils appartiennent et qui s’entrecroisent ici.
On est dans la vallée de l’Orne, sur la rive gauche du petit fleuve côtier, immédiatement à l’aval de Caen.
Quatre espaces – au moins – frottent en cet endroit parcouru le temps d’une heure de promenade
Le canal et la mer
L’espace du canal c’est celui du commerce maritime international. Dans cette portion du canal, peu de trafic en réalité ; l’essentiel du trafic de céréales, d’engrais et de bois exotiques est réalisé un peu plus en aval au bassin de Blainville. Mais c’est le canal qui a rapproché Caen de la Mer de la Manche, l’Orne divagante et faiblement profonde l’ayant tenue longtemps éloignée. Napoléon III est venu inaugurer ce canal de 14 km le dimanche 23 août 1857. Le dimanche 6 septembre 2020, c’est un paquebot de croisière, le World Odyssey (ex-Deutschland), qui est amarré (depuis le mois de mai) dans ce bassin. Il y a été désarmé, ne conservant à son bord qu’un noyau d’équipage pour assurer la sécurité et d’éventuelles manœuvres. Il est arrivé de Tenerife et ses 293 cabines ne comportent évidemment plus de passagers. Une partie de l’équipage a débarqué aux Canaries. Ceux qui sont restés ici ont été soumis aux procédures sanitaires établies dans le cadre de la lutte contre le Covid-19.


Ce bassin a longtemps été le port privé de la Société Métallurgique de Normandie, équipement nécessaire à l’importation de houille d’Allemagne, de Grande-Bretagne, des Etats-Unis, etc. et à l’exportation de produits de la métallurgie. La silhouette de l’usine dominait le bassin et le canal. On en devine ce dimanche la tour de refroidissement principale qui a été conservée de l’ancienne usine du Plateau (voir ci-dessous).


Les photographies de la promenade montrent le frottement de cet espace international avec celui des bords de l’Orne, lieu de promenade, sorte d’avenue verte et bleue pour piétons et cyclistes, de Caen à la mer et retour. Les canards s’approchent des promeneurs venus pour un moment de détente
Le sanctuaire
En face du paquebot de croisière, à 100 mètres, installé sur le coteau, le Petit Lourdes d’Hérouville, un sanctuaire marial construit entre 1879 et 1885 à proximité immédiate d’un noviciat des Frères des Ecoles chrétiennes. La construction est financée par un négociant de Rouen, Jules Dubosq en remerciement à Notre-Dame de Lourdes pour la guérison de sa femme. Une réplique du sanctuaire de Lourdes est ainsi construite : une excavation creusée dans le coteau pour obtenir une sorte de crypte et une chapelle à l’image de celle du pèlerinage pyrénéen. Nécessairement, ce Lourdes, créé de toutes pièces à Hérouville Saint-Clair, renvoie non seulement à Lourdes, mais aussi à toutes les répliques du sanctuaire ou de la grotte des apparitions (voir ci-dessous).


Un espace international là-aussi, mais d’une autre nature que le précédent : pas besoin de mobilités pour que cela fonctionne. Simplement une sorte d’écho. Pour des croyants catholiques, sans doute un déplacement mental ; pour les autres, une promenade de passage.
Cela frotte avec les bords de l’Orne. Les promeneurs venus spécifiquement pour le sanctuaire n’enchainent pas nécessairement sur une balade au bord du canal, mais cela ne leur est pas interdit. On distingue bien cette coulée verte sur la photographie ci-dessous. Des escaliers de la chapelle, on peut aussi voir le paquebot désarmé par le Coronavirus.

Le franchissement
Encore quelques dizaines de mètres et nous voilà sous les piles du viaduc de Calix. Depuis 1973, il permet au boulevard périphérique de Caen de franchir la vallée de l’Orne, le bassin de Calix, l’Orne et son canal. Au bout : l’autoroute A13 et la région parisienne puis l’Europe du Nord-Ouest ou l’autoroute A29 via le Pont de Normandie, le Nord de la France, le Bénélux et la Grande-Bretagne. De l’autre côté (derrière le photographe), Cherbourg, la Grande Bretagne et l’Irlande.

C’est un viaduc comme d’autres sur l’autoroute des estuaires. Un fragment d’espace ouest-européen des franchissements d’obstacles au trafic routier international. Beaucoup de passages, une rumeur automobile qui ne s’arrête que vers 20 heures et reprend à 6 heures. En-dessous : les jardins que la construction du viaduc a réduits et altérés en modifiant les nappes phréatiques.


Les bords de l’Orne
Enfin, l’espace des promenades en famille, en groupes d’amis ou seul, à pied, à vélo, en aviron, en bateau de plaisance. Un peu comme toutes les images de bords de l’eau près des villes, depuis qu’elles ont des banlieues, comme dans les tableaux impressionnistes. La lumière sur l’eau, les rideaux d’arbres, la verdure et le temps des loisirs, le temps de regarder, d’apprécier. Peut-être d’apercevoir à quelques mètres le sanctuaire, le paquebot des Canaries et un peu plus loin le long viaduc.
C’est cet espace des bords de l’Orne qu’on peut retrouver sur le blog de Cécile Carpena, au 14 septembre 2020



Et pour continuer la promenade dans ce drôle d’endroit à quatre espaces entrecroisés
Sur l’histoire du canal de Caen à la mer : https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/calvados/caen/canal-caen-mer-fete-ses-160-ans-1315733.html
Sur le bassin d’Hérouville au temps de la Société Métallurgique de Normandie : http://www.flashezsurlescargos.fr/index.php?post/PORT-PRIV%C3%89-DE-LA-SMN
Sur le Petit Lourdes d’Hérouville Saint-Clair : http://hsc-lepetitlourdes.weebly.com/
Sur la construction du viaduc : quelques images d’archives
Et le blog de Cécile Carpena : http://lovitartemisia.over-blog.com/2020/09/promenade-au-bord-du-canal-de-l-orne.html
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