Mythologie : la 4 CV Renault et Solveig Dommartin
Marion (Solveig Dommartin) quitte le cirque Alekan où elle était trapéziste. Elle marche lentement, s’assied sur le capot avant de la 4CV, pieds sur le pare-chocs.

On entend sa voix intérieure comme Damiel l’ange l’entend.
Voilà c’est fini, même pas une saison, j’aurai pas encore eu le temps d’arriver quelque part mon rêve de cirque ces souvenirs pour dans dix ans, c’est ce soir le dernier soir avec mon bon vieux numéro… souvent je parle de moi que par gêne, des moments comme ça, des moments comme maintenant. Le temps apaisera tout, et si c’était le temps la maladie. Comme si parfois il fallait se pencher pour continuer à vivre, vivre, un regard suffit. Le cirque il me manquera c’est drôle je ne ressens rien, c’est la fin et je ne ressens rien… (elle est encore dans le cirque puis elle sort)… et si la douleur n’avait pas de passé, tous ces gens que j’ai connus qui restent et qui resteront dans ma tête, ça commence, ça s’arrête toujours. C’était trop beau, enfin dehors dans la ville. Trouver qui je suis qui je suis devenue, la plupart du temps je suis trop consciente pour être triste. J’ai attendu une éternité pour que quelqu’un me dise un mot affectueux […]



Curieusement, une fois partie Marion, la 4CV devient tout autre. Cette 4CV quittera la scène conduite par un des membres de la troupe. La petite caravane repart vers la France. Et la voiture, elle, retourne à l’état d’objet roulant de la circulation ordinaire.
Mais le temps où Marion s’approche d’elle, s’assied, écoute cet air à l’accordéon avant de s’éloigner, la 4CV n’est pas cet objet ; elle est le véhicule qui permet le changement d’état de Marion.
Car, Marion, contrairement aux autres membres de la troupe, ne rejoint pas la France. Elle reste et commence une déambulation qui la fera rencontrer Peter Falk venu à Berlin Ouest sur les traces de sa grand-mère juive, puis l’amènera jusqu’à Damiel l’ange qui voulait connaître la vie humaine.
La 4CV est le contraire de la DS des Mythologies de Barthes.

« La nouvelle Citroën, tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d’abord comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que l’objet est le meilleur messager de la surnature : il y a facilement dans l’objet, à la fois une clôture et une brillance, une transformation de la vie en matière (la matière est bien plus magique que la vie), et pour tout dire, un silence qui appartient à l’ordre du merveilleux. La « Déesse » a tous les caractères (du moins le public commence-t-il par les lui prêter unanimement) d’un de ces objets descendus d’un autre univers, qui ont alimenté la néomanie du XVIIIe siècle et celle de notre science-fiction : la Déesse est d’abord un nouveau Nautilus » (Roland Barthes, p. 150-151 dans la réédition de 1970).
La 4CV n’est pas cet objet superlatif, elle n’est pas cette « cathédrale gothique » qu’on est prié d’admirer en silence. La 4CV appelle les histoires, elle est le véhicule des rêves, pas ceux qui nous égare, ceux où on se retrouve, elle est l’image d’un songe heureux.
Le songe parlé de Marion sûre d’elle allant à la rencontre d’un Damiel qui goûte les saveurs du Berlin Ouest avant la chute du Mur.
D’autres songes que nous entendrions si nous étions les anges de Wim Wenders, en même temps que nous regardons ces personnes sur ces photographies des années 1950.







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