« Le long de la RN10 » : c’est une matière à rêveries.

Rêveries de route.

Rêverie : « État de conscience passif et généralement agréable dans lequel l’esprit se laisse captiver par une impression, un souvenir, un sentiment, une pensée et laisse aller son imagination au hasard des associations d’idées » (Dictionnaire du CNRTL).

C’est la route qui captive, les souvenirs qui lui sont associés, les explorations auxquelles elle invite.

La RN10, à Sainte-Maure-de-Touraine.

L’hôtel du Cheval Blanc, le long de la RN10, à Sainte-Maure-de-Touraine, motif de rêveries (photographies : Jean-François Thémines)

Il y a les personnes qui suivent la route et la font vivre en la décrivant. Leurs carnets de route prennent la forme même du ruban (vertical) d’une route avec photographies (de la route, de panneaux indicateurs, d’architectures liées aux transports routiers), notations glanées et suggestions de visite.

Voici un extrait du carnet de Marc Verney : https://www.surma-route.net/nationale_10/n10_2.html

« Se retrouvant à nouveau sur un plateau, la R.N.10 historique (D910) prend la direction de Sainte-Maure-de-Touraine. Voilà d’abord Sorigny, traversée par la « rue Nationale » ; c’est une paroisse confirmée au début du XIe siècle par une charte de Robert le Pieux. Puis, c’est une longue ligne droite jusqu’aux environs de Sainte-Catherine-de-Fierbois […] Etape importante de pèlerinage, on y trouve une aumônerie construite au début du XVe siècle. C’est également là que l’on dit que Jeanne d’Arc a déterré l’épée de Charles Martel… La chaussée traverse désormais le ruisseau l’Etang au lieu-dit Le Pont-Neuf. Deux à trois kilomètres plus loin, voilà Sainte-Maure-de-Touraine. La route, qui passe à côté du centre, descend assez fortement tout au long d’une large avenue, autrefois bordée d’hôtels, de restaurants, d’auberges… et de garages de réparation automobile, dont le premier, nous dit une plaquette d’information de la mairie, s’installe en 1907 […] Au numéro 55 de la rue, on trouve l’auberge du Cheval Blanc, dont l’origine remonte à la création de la route royale… ».

RN10 vers le Nord à Sainte-Maure de Touraine : photographie Marc Verney, 2015. L’enseigne du Cheval Blanc en bas à droite.

Il y a les personnes que la RN10 guide au volant des voitures qu’elles chérissent et photographient dans les lieux, sur ces bords de route où elles appellent des images de l’épopée de l’automobile pour tous et toutes.

Voici sur le site de Laurent Carré :  https://nationale10.e-monsite.com/pages/photos/mes-citroen-sur-la-nationale-10.html  

« Mes Citroën sur la Nationale 10

Collectionneur de Citroën anciennes, cela fait près de vingt ans que je parcours les routes de France et d’Europe à leurs volants. Mes fréquents passages sur la Nationale 10 de Paris à Urrugne m’ont donné l’occasion de faire des clichés mettant en scène mes autos sur des tronçons déclassés, dans des villages ou devant d’anciennes publicités.

Voici l’Ami 6 break Club, février 1968, blanc Carrare (AC 144) que ce collectionneur a remise en service : « La Nationale 10 sous la neige entre Sainte-Maure-de-Touraine et La-Celle-Saint-Avant (km 268, Indre-et-Loire). Le couvre calandre était obligatoire ce jour-là pour espérer avoir un peu de chauffage dans l’habitacle ! »

La Nationale 10 sous la neige entre Sainte-Maure de Touraine et La-Celle-Saint-Avant ( km 268, Indre-et-Loire ), 2010 (https://nationale10.e-monsite.com/pages/photos/mes-citroen-sur-la-nationale-10.html )

La RN10, pour le coup, c’est un peu la « boule à neige » : ce monde en réduction que l’on fait revivre à sa guise.

Il y a les personnes qui font de la portion d’ex-RN10 située entre Montbazon et Sainte-Maure-de-Touraine un monument – route et ouvrages spécifiques nés de cette route dont les usages se démocratisent à partir des années 1950 (stations-services, garages). Ce patrimoine se construit depuis une bonne dizaine d’années et se réactive lors de l’événement « Ça bouchonne encore à Sainte-Maure ! ». Voici l’affiche de la 7ème édition 2025. L’auberge du Cheval Blanc est en bonne place.

Il y a aussi les personnes – j’en fais partie à ce moment-là – qui veulent faire étape dans un établissement de bord de RN10. Un établissement devant lequel elles sont passées des dizaines de fois il y a des dizaines d’années sans jamais s’arrêter. Rêverie de halte. Quelles vies contiennent les murs de ces auberges et hôtels « de grand chemin » dont seules les façades côté route nous sont connues ou plutôt fugitivement perçues ? Quelle vie anime ces murs eux-mêmes, longés qu’ils sont d’un côté par des milliers de gens, des millions même quand on additionne les années et les siècles, frôlés de l’autre par des habitant.es d’un jour ou plutôt d’une nuit ?

Nous « descendions » de Normandie dans le Sud-Ouest aux vacances et, en sens inverse, nous « remontions » en passant par la RN20, puis la RN147, la RN10 avant de prendre la RN158… Partant de Normandie au milieu de la nuit, nous traversions la Touraine au petit matin, Tours par l’avenue de Grammont, puis la sortie de la vallée du Cher, les Gués de Veigné, Montbazon (la descente vers le pont sur l’Indre, la remontée après le bourg serré sous sa forteresse), Sorigny, Sainte-Maure-de-Touraine. Long village rue. Puis bientôt, après le carrefour de Maillé, les Ormes, Châtellerault, la Vienne, un autre pays déjà. Revenant et partant toujours au milieu de la nuit, les villages s’égrenaient dans l’ordre inverse et Sainte-Maure arrivait dans l’après-midi commencé avec son bouchon prévisible aux vacances d’été (avant celui de Montbazon).

Un bouchon comme ici, à Montbazon (https://www.lanouvellerepublique.fr/indre-et-loire/commune/sainte-maure-de-touraine/l-histoire-de-la-nationale-10-prend-du-volume)

Ce 22 juillet 2025, nous nous sommes arrêtés à Sainte-Maure-de-Touraine. Nous sommes descendus à l’Hôtel du Cheval Blanc.

D’autres avant nous. L’hôtel du Cheval Blanc (carte postée en 1937)
D’autres avant nous. L’hôtel du Cheval Blanc au début des années 1970 (carte postale non datée utilisée pour le guide et les panneaux « Mémoire de la nationale 10 »

L’hôtel est né de la route royale créée vers 1750. Route d’Espagne, route royale puis impériale, nationale numérotée 10 en 1824, elle crée une nouvelle agglomération linéaire, à distance des deux bourgs originels de Sainte-Maure qu’elle longe encore aujourd’hui.

Extrait du guide du circuit « Mémoire Nationale 10 » (le Nord est à gauche). Encore aucun bâti continu le long de la nouvelle route qui a juste vingt ans

Mais avant la roue royale, il existait déjà une poste aux chevaux à Sainte-Maure, comme l’indique cette carte du géographe Nicolas Samson.

TAVERNIER M. et SANSON N., 1634 (2nde édition). Carte Géographique des Postes qui traversent la France. Dans l’encadré rouge, la route de Tours à Châtellerault avec ses postes, dont Montbazon, Sainte-Maure et Port-de-Piles

Les pèlerins en chemin pour Saint-Jacques-de-Compostelle, sur la route d’Espagne déjà, entraient dans l’ancien bourg et s’arrêtaient à l’auberge de la Belle Image.

L’Auberge de la Belle Image sur l’ancienne route d’Espagne, celle des pèlerins et du chemin de Saint-Jacques encore aujourd’hui

La chambre donne sur l’avenue Charles de Gaulle (depuis 1970) portion centrale de la moderne route d’Espagne. Aller à la fenêtre. De la tête, passer cette limite invisible entre intérieur et extérieur. Se pencher : à droite, l’avenue remonte légèrement vers le plateau, plus loin Tours ; tout près : l’enseigne du Cheval Blanc. A gauche, l’avenue vers le croisement avec la direction de Loches avant que la route ne remonte doucement vers le plateau où se trouvent l’Etoile du Sud, plus loin Les Ormes, Châtellerault… Les voitures passent, les camions, des tracteurs chargés de foin. Cela ne s’arrêtera vraiment que vers 23 heures et recommencera vers 5 heures. L’A1O n’épuise pas le trafic de transit. Et il y a bien sûr les habitants qui travaillent sur l’agglomération tourangelle.

Aller à la fenêtre (photographie : Anne Laure Le Guern)
Vers Tours
Vers la Vienne

La salle à manger donne sur les deux faces de l’auberge. Côté route et côté cour. Elle est aussi ouverte sur le passage qui relie ces deux faces. Une fenêtre située à hauteur de cocher permettait sans doute de voir entrer et sortir les voitures d’autrefois (celles d’aujourd’hui sont plus basses). La cour est équipée d’un garage et il n’est guère difficile d’imaginer les allers et venues des visiteurs d’alors. Peut-être cette salle à manger est-elle l’ancienne salle de bal où fut installé dans les années 1940 le premier cinéma de Sainte-Maure ? Depuis la fenêtre donnant sur la cour, on voit le bourg et l’église de Sainte-Maure. Dans un cadre, comme si on était dedans et dehors. Dans Sainte-Maure et à distance quand même ; dans un monde spécifique qui est celui de la route, la route des chevaux de malle-poste et de diligence, puis des chevaux mécaniques.

La fenêtre de la salle qui donne sur le passage de la route à la cour, pour les attelages et pour les voitures automobiles
Depuis la salle, vers la cour, les garages et l’église de Sainte-Maure

La distance entre la route des hôtels (ou anciens hôtels) et le bourg « historique », nous l’avons expérimentée par une petite promenade de liaison, à pied, le soir. Les rues qui permettent cette liaison traversent un vallon qui sépare le bourg de la grand-route.

Dans cet exercice de mise en rapport, nous avons été aidés par deux dispositifs. L’un est un circuit de découverte intitulé « Mémoire de la nationale 10 », dont les panneaux explicatifs en trois langues (on est bien sur la route d’Espagne) marquent les haltes principales. L’un de ces panneaux présente l’auberge du Cheval Blanc. L’autre dispositif, plus récent, est une exposition photographique affichée à hauteur de l’ancienne école Theuriet. L’exposition s’intitule Une jeunesse (La petite ville). Elle résulte du travail en résidence créatrice du photographe Alban Lécuyer. Il s’est attaché aux « rituels et [aux] géographies intimes (les lieux de déambulation, de socialisation ou d’initiation) et [au] rapport à la fois personnel et collectif que les adolescents et les jeunes adultes entretiennent avec leur territoire ». Une façon, pour nous qui passons, de nous mettre, même superficiellement, rapidement, dans les pas de ces habitants et de leurs lieux cachés.

Le panneau explicatif devant l’hôtel du Cheval Blanc
Sur le circuit « Mémoire de la nationale 10 », ce rappel des chemins de pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle (à l’angle de la rue du Veau d’Or)
Mosaïque et coquilles Saint-Jacques – détail (photographie : Anne Laure Le Guern)
Exposition Alban Lécuyer (extraits)

C’était une halte, le long de la Nationale 10, à Sainte-Maure-de-Touraine.

Pour continuer

En plus des blogs mentionnés plus haut

Le guide du circuit « Mémoire nationale 10 Sainte-Maure-de-Touraine » : http://www.sainte-maure-de-touraine.fr/userfiles/files/memoire-nationale-10%281%29.pdf

Le site d’Alban Lécuyer : https://www.albanlecuyer.com/

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